Alors qu’elle s’était rendue en Jordanie pour l’écriture d’un livre, Rima Hassan, réfugiée palestinienne, a été rattrapée par la réalité, celle de son peuple contraint une nouvelle fois à l’exil après des semaines d’intenses bombardements israéliens sur la bande de Gaza.
La plaie de ma vie, c’est que je me sens étrangère partout.
Juriste en droit international et présidente-fondatrice de l’Observatoire des Camps de Réfugiés à Paris, Rima Hassan est née dans le camp de réfugiés Palestiniens de Neirab, situé au sud-est d’Alep en Syrie. Elle lutte aujourd’hui pour la reconnaissance des droits des Palestiniens, notamment leur droit au retour (principe adopté par la résolution 194 de l’Assemblée Générale des Nations Unies consacrant le droit des Palestiniens de première génération – ceux ayant été expulsés en 1948 – et leur descendants, de retourner en Palestine et de retrouver leur propriété abandonnée au moment de leur expulsion.)
Le 7 octobre 2023, la branche militaire du Hamas, le parti au pouvoir depuis 2007 à Gaza, lance une série de roquettes sur Israël, qui se poursuit par une opération terrestre, et se conclut par la mort d’environ 1200 israéliens, comprenant des civils et des militaires. En réponse à ces attaques, baptisées “opération déluge d’Al-Aqsa” par le Hamas, le gouvernement israélien déclare la guerre et se lance dans une série de bombardements intensifs visant, selon le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, à la fois des structures hospitalières, des écoles, des locaux de presse — comme ceux d’Associated Press et d’Al-Jazeera — des camps de réfugiés, ainsi que des habitations, sur toute la bande de Gaza. Les conséquences dévoilent un bilan humanitaire catastrophique à l’heure où l’UNRWA (organe onusien d’assistance aux réfugiés palestiniens) révèle que plus de 15,000 palestiniens, dont 6,150 enfants et 4,000 femmes, ont été tués depuis début octobre, et que 80% des habitants de la bande de Gaza ont été contraints de quitter leur domicile, soit 1,9 millions des Palestiniens de Gaza.
Exilée pour toujours ?
Rima a vécu l’exil à l’âge de dix ans, quittant ainsi le camp de Neirab pour rejoindre la France avec quelques membres de sa famille. Interrogée sur son identité et son sentiment d’appartenance face à ses multiples facettes, sa réponse est sans équivoque : “réfugiée Palestinienne”. Cette identité embrasse à la fois sa condition d’exilée et les injustices endurées, rappelle-t-elle, par le peuple Palestinien au cours des 75 dernières années. Bien qu’elle ait résidé dans un camp en Syrie, elle souligne également son sentiment d’appartenance plus étendu au monde arabe.
“Il ne faut pas oublier qu’on a grandi dans un camp palestinien donc je n’ai pas non plus de repères syriens, j’ai des repères en Syrie qui sont ceux d’un camp de réfugiés palestiniens, probablement aussi parce que je n’y ai pas passé beaucoup de temps”, poursuit-elle.
A la question du chez-soi, que l’on associe très souvent à un lieu physique, Rima répond:
Je pense que la plaie de ma vie, c’est que je me sens étrangère partout. Je me sens très proche du monde arabe mais je me sens quand même déracinée en étant là. Pour moi, dire que mon chez-moi, ça serait le camp, même si de fait c’est mon chez-moi, parce que je suis née là-bas et que mes grands-parents sont enterrés là-bas, je me refuse à le faire, parce que ça acte une violence qui est inouïe. Cela signifierait que nous sommes définitivement parqués dans des camps.
“Slow genocide”
Tandis qu’une guerre sémantique et une guerre des chiffres s’est peu à peu imposée dans les médias, Rima Hassan qualifie cette situation de “slow genocide”, une épuration ethnique qui s’inscrit dans le temps:
“Je pense qu’il faut parler de génocide pour Gaza parce que c’est la première fois que le nombre de morts est aussi important, le nombre de blessés aussi. Pour moi, c’est vraiment une politique génocidaire qui s’inscrit dans une continuité de la politique israélienne depuis 75 ans, qui consiste à se débarrasser des Palestiniens. Gaza connaît dans ce régime d’apartheid, un crime contre l’humanité.”
Tout en rappelant la nécessité de ne pas essentialiser les positions israéliennes, dont certaines s’imposent en tant que figures anti-occupation, à l’instar de l’organisation israélienne Breaking the Silence, ou de l’ONG B’Tselem, Rima déplore une politique de séparation:
« Il y a une volonté politique de maintenir ce régime de domination et de séparation, une volonté de séparer les Palestiniens et de les persécuter pour ce qu’ils sont.” Selon elle, cette politique se matérialise de différentes manières. Pour les Palestiniens de Cisjordanie, il s’agit d’une politique de colonisation et d’occupation. “Cette politique les prive au quotidien de tous leurs droits fondamentaux, de la liberté de circuler, de pouvoir accéder à des ressources”. Elle poursuit en ajoutant que les Palestiniens de Gaza subissent “un blocus illégal qui les enferme dans une prison à ciel ouvert depuis 17 ans” tandis que les Palestiniens de Jérusalem disposent d’un statut qu’elle juge « très précaire ».
Il s’agit d’un statut de résident, qu’ils peuvent perdre s’ils quittent le territoire plus de six mois sans avoir le droit de revenir.” ajoute-t-elle.
Un monde arabe divisé
Entre la Jordanie, la Syrie ou le Liban, Rima gravite autour de la Palestine sans jamais pouvoir y mettre les pieds. Malgré son attachement au monde arabe, elle exprime un sentiment ambivalent d’appartenance et d’exclusion en tant que Palestinienne, se sentant à la fois comprise et rejetée par le monde arabe:
“Si l’opinion publique est favorable à nos revendications, on voit bien que les États restent parfois un peu lâches”, confie-t-elle.
Ils démontrent parfois une incapacité à faire bloc sur cette question, à trouver des consensus qui permettent à nous, Palestiniens, d’avancer. C’est donc très mitigé comme sentiment. Je me sens à la fois un peu dans un cocon qui me protège parce que je suis proche des points d’ancrage des Palestiniens, et en même temps, je me sens quand même dehors parce que la perception des Palestiniens, est aussi l’objet de rejets ou alors de discrimination.
Quelle solution ?
De manière générale, la juriste en droit international envisage une porte de sortie à travers le démantèlement du régime d’apartheid israélien, dans l’espoir de voir émerger un jour un Etat binational fondé sur l’égalité des droits pour les citoyens Palestiniens et Israéliens, sans toutefois considérer sa génération comme destinée à assister à cette évolution.
Aujourd’hui, cette perspective semble encore plus éloignée malgré une courte trêve humanitaire, le cessez-le-feu n’est pas à l’ordre du jour de l’agenda politique israélien, la colonisation se poursuit et se renforce même dans les territoires palestiniens, notamment en Cisjordanie. Selon Agnès Levallois, spécialiste du Proche-Orient et vice-présidente de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient, tant que le gouvernement israélien sera aux mains de Benyamin Netanyahu, aucune solution ne sera envisageable.