La façade de la mairie de Paris, déjà prête pour les Jeux Olympiques de l'été 2024 // ©Anthea Claux

Jeux Olympiques de Paris 2024 : les migrants sur le banc de touche

Va-t-on vers un « nettoyage » de Paris pour présenter, à l’été  2024, une ville sans SDF ? Les associations humanitaires sont  nombreuses à dénoncer une politique de mise à l’écart des sans-abris, qui va vers une systématisation inquiétante. C’est le cas de  Clémentine et Sophie, en service civique pour l’association d’aide aux réfugiés Utopia 56, qui s’inquiètent du sort des demandeurs d’asile.

Alors que les Jeux Olympiques de Paris approchent à grand pas, une réalité sombre persiste : les sans-abris, les sans-papiers et les demandeurs d’asile sont systématiquement éloignés de la capitale à un rythme alarmant. Clémentine Dubin et Sophie Pilatte, engagées au sein de l’association Utopia 56, qui œuvre en faveur des réfugiés dans toute la France, depuis la jungle de Calais en passant par les camps informels installés dans Paris, et jusqu’à Toulouse, témoignent de cette situation préoccupante. Elles tirent la sonnette d’alarme face à une réalité complexe, sur le point de s’engluer dans une impasse, principalement en raison de la politique de zéro fixation adoptée par la préfecture de police de Paris.

Le rétro planning des forces de l’ordre

Avant le début de notre entretien, Sophie me confie que l’interview tombe à point nommé : alors que le grand public a eu vent de l’arrêté du 10 octobre dernier, interdisant la distribution de repas dans certains quartiers des Xe et XIXe arrondissements de Paris, la fréquence des démantèlements de camps a connu une hausse vertigineuse depuis le début du mois d’octobre, un aspect moins médiatisé. À l’heure actuelle, environ une trentaine de migrants et de demandeurs d’asile sont contraints de dormir sous le métro aérien près de la station Jaurès (située à la limite des 10 et 19 arrondissements de Paris).

Maintenant, les évacuations ont lieu toutes les semaines et c’est pour les  éparpiller un peu en banlieue, puis les remettre à la rue quelques semaines après mais loin de Paris, du coup  ils sont perdus et éparpillés… C’est une catastrophe.

« C’est impressionnant de voir l’augmentation [des évacuations, ndlr] depuis 3 semaines — depuis  début octobre et à peu près en même temps que l’arrêté préfectoral. La réinstallation devient impossible.  Avant, on avait des mises à l’abri avec évacuation des lieux. Au début de l’été, ça arrivait une fois par mois,  ou une fois tous les mois et demi, c’était rare, et encore, ils étaient réorientés dans des hôtels en région », confie Clémentine Dubin. Pour ces deux étudiantes en droit, la politique actuellement mise en œuvre par la préfecture de police, dépourvue de solutions concrètes de relogement, aggrave une problématique déjà complexe et persistante : « Maintenant, les évacuations ont lieu toutes les semaines et c’est pour les  éparpiller un peu en banlieue, puis les remettre à la rue quelques semaines après mais loin de Paris, du coup  ils sont perdus et éparpillés… C’est une catastrophe. »

Les tentes sont maintenant confisquées par les autorités de police // ©RC1959_WikimediaCommons

Une situation qui inquiète

Les solutions d’hébergement sont, selon ces deux jeunes femmes, particulièrement  lacunaires, et ne s’adressent qu’aux personnes en demande d’asile, et pas à celles en situation  irrégulière. Pour les migrants qui n’ont pas de demande d’asile en cours, la procédure est celle  d’une arrestation et d’un placement en cellule de rétention administrative. « Ce que je ne comprends  pas, moi, c’est qu’on nous interdise de faire quelque chose alors que c’est justement quelque chose qu’on fait  parce que l’État ne le fait pas. Ça vaut pour la nourriture comme pour l’empêchement à la réinstallation : ils  savent que les personnes qui dorment dans les camps ne peuvent pas se loger ou manger, puisque l’État ne  produit pas ces services. Ils savent que lorsqu’ils les délogent, même dans la pluie, ils n’auront pas d’endroits où dormir. Donc je ne comprends pas ce qu’ils attendent. On sait qu’ils sont conscients qu’ils n’ont pas un  hôtel, ni un restaurant qui les attend… »

Pour Clémentine et Sophie, qui participent aux maraudes toutes les semaines, « les gars ont  besoin de repères, de liens humains, de solidarité… Les camps sont aussi des lieux où l’on fait communauté.  Les affaires sont pillées, volées, écrasées. La police réquisitionne des machines pour broyer des tentes? » Elles évoquent une violence symbolique particulièrement marquante, visant à épuiser tant les migrants que les bénévoles, que ce soit en interdisant aux personnes de se nourrir ou en installant d’énormes rochers sous les ponts, lieux habituels de repos des migrants. « Des nuits à l’hôtel auraient peut-être coûté moins cher  que d’engager toute une équipe pour apporter ces rochers avec une grue… », souligne amèrement Sophie  Pilatte.

Des migrants dorment Porte de la Chapelle, 2017 // ©RC1959_WikimediaCommons

Optimisme et déceptions

Le service civique qu’elles effectuent au sein du pôle Hommes Isolés d’Utopia 56 s’organise  en trois axes. Elles participent à des maraudes d’informations, qui impliquent de se rendre sur les  campements et d’y aider les personnes qui y vivent, en les orientant, ou en les aidant à résoudre leurs problèmes administratifs. Elles organisent également un travail de post-maraude d’information, pour offrir un suivi plus poussé et un accompagnement sur le long terme aux migrants qui entament une procédure de régularisation. Enfin, elles participent hebdomadairement aux maraudes de nuit, au cours desquelles elles distribuent du matériel : de la  nourriture et, depuis que les températures ont baissé, des tentes, des couvertures, des boissons chaudes.

Si Clémentine et Sophie admettent volontiers avoir rejoint Utopia 56 par désir d’agir sur le  terrain et d’apporter une aide immédiate à des situations d’urgence, elles tiquent rapidement lorsqu’on leur demande si elles ont voulu, par ce service civique, faire un travail utile. Clémentine  nuance la notion d’utilité, en expliquant que la situation actuelle est telle qu’il est difficile de se sentir utile, d’autant qu’elles font un travail qui cherche à combler ce que l’État ne fait pas : « c’est  parce que l’État ne prend pas en charge ces personnes, qu’on essaie de combler le manque. Mais en ce moment l’État est tellement écrasant qu’on a du mal à avancer. On le voit avec l’arrêté préfectoral du 10 octobre, mais aussi avec la politique de zéro fixation qui empêche les personnes de s’installer. Là, la marge de  manœuvre est limitée face à l’État et à la pression. »

À la question de savoir si elles gardent malgré tout espoir, les deux femmes se montrent  toutes deux optimistes : leur travail est certes parfois démoralisant, mais elles sont aussi heureuses  lorsqu’elles apprennent que l’aide apportée aux personnes a porté ses fruits, et « qu’il y a des gars  qui s’en sortent pas mal ». Elles se disent optimistes pour la suite : le fait de voir que la mobilisation des associations a fonctionné pour couper court à l’arrêté préfectoral du 10 octobre les encourage.

Ce mardi 14 novembre, les autorités de police ont procédé à la 32e opération depuis le début de l’année et ont évacué plus de 200 migrants d’un campement situé à proximité du quai d’Austerlitz. Le communiqué de la préfecture de police, qui parle d’une « mise à l’abris », explique avoir dirigé cent migrants dans des structures d’accueil Île de France, et 121 dans des structures en Île de France. Le communiqué conclue avec quelques chiffres, dont celui-ci : depuis le début de l’année 2023, 17 185 personnes ont été orientées vers des dispositifs d’accueuil régionaux.

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