Le Prince Stash a traversé le Swinging London des années 1960, le flower power des Seventies, et à 81 ans, il raconte désormais ses aventures épiques. // ©Sandy Grigsby

Prince Stash, une vie plus vraie que nature

À l’occasion de la sortie du tout dernier album studio des Rolling Stones, « Hackney Diamonds », plongeons dans une rencontre exclusive avec celui qui les a étroitement côtoyés dans les années 1960, partageant les récits captivants de sa jeunesse aux mille et une facettes.

Stanislas Klossowski de Rola, plus connu sous le nom de Prince Stash, a 81 ans et a traversé une multitude d’existences. Élevé tel un aristocrate du XIXe siècle débarquant dans les tumultes des années 1940, il a suivi Visconti dans le Rome de la dolce vita à la fin des années 1950, exercé en tant que scénariste à Hollywood, pour ensuite devenir une figure du rock dans le Swinging London des années 1960.

Dès notre premier échange, sa nature affable et sa distinction ont immédiatement capté mon attention, une distinction soulignée par son timbre de voix grave et profond, et ourlée d’un accent qu’on n’entend plus que dans les archives de l’INA. À ce ton distingué et ce niveau de langage soutenu, il faut ajouter le côté piquant du rockeur couvert de bagues, de colliers, coiffé de dreadlocks. Un gentleman rockeur, en quelque sorte. Ce mélange détonnant de culture fine, d’élégance aristocratique et de détermination à sortir des sentiers battus explique certainement les aventures rocambolesques et richement variées de la jeunesse du Prince Stash.

Fils du célèbre et sulfureux peintre franco-polonais Balthus, Stanislas Klossowski de Rola a grandi dans la villa Diodati, acquise en Suisse par Lord Byronn, conservée dans toute la splendeur de son XIXe siècle romantique. Cette demeure n’avait pas été réaménagée depuis l’époque où Lord Byron avait choisi les grandes tentures  clouées aux murs. Il évoque une enfance choyée entre nurses et domestiques, bâtiments d’hiver et  grandes propriétés où les enfants évoluaient en marge de parents absorbés par les mondanités d’une société  tardivement aristocratique. Malgré une enfance qu’il qualifiera de mouvementée, il admet bien  volontiers qu’ils ont surtout vécu dans des endroits d’une grande beauté. Les dix premières années de Stash, qui s’écoulent dans cette atmosphère de goût et de raffinement, fondent le socle de tout son modus vivendi.

Un incident survenu lors de son enfance, confie-t-il avec le recul des années, a profondément influencé sa personnalité anticonformiste. Jugé « mal habillé » lors d’une rentrée scolaire dans un établissement select, il a été la cible de moqueries incessantes de ses camarades qui, tout au long de la journée, se sont cruellement joués de lui en le pointant du doigt.

J’ai eu une  vision tragique du dessin possible d’une vie affluente. Il y avait eu une espèce de révolte en moi de tout ce  qu’on pouvait appeler la vie normale. J’ai eu une vision d’horreur de ce côté traditionnel des choses — les  études, l’université, le mariage, les enfants — tout m’est apparu comme si la vie se présentait comme un drame affreux. C’est une constatation qui a beaucoup influencé ma vie.

Puis vient la musique. Les premiers disques qu’il écoute sont, me dit-il, des 78 tours d’Elvis  Presley qui tournaient sur un gramophone mécanique. Le Prince Stash prend son temps pour  me raconter son enfance truculente. Il enchaîne les écoles internationales et pensionnats américains à travers le continent européen, mais celui qui tient des dizaines de minutes sur la  question philosophique des beaux-arts et du génie, qui me parle des Incroyables du Directoire, des  pré-socratiques et de Boris Vian tout à la fois admet bien volontiers qu’il a reçu « une formation  plus qu’une éducation ».

Découvert par un assistant de Visconti alors qu’il vit à Rome, il abandonne définitivement  l’école pour se plonger dans un monde libre et éminemment artistique. Après un flirt avec Ava Gardner, actrice et archétype de la femme fatale américaine, il part à Paris vivre chez l’acteur Alain Delon dans sa propriété de Seine et Marne. À Paris, il ne  côtoie pas la belle société mais plutôt le monde des jazzmen et des musiciens américains noirs.  L’oiseau de nuit qu’il est à l’époque fréquente les boîtes de nuit à la mode de ce début des  années 1960. En 1963 il est à Hollywood, où il rencontre l’immense réalisateur Alfred Hitchcock, travaille à tout, touche à  tout.

Début 1964, il a rejoint le groupe de Vince Taylor, et partage l’affiche à l’Olympia avec les  Rolling Stones. « J’avais développé ce côté extrêmement glamour : j’étais le premier rock’n’rolleur à avoir  les cheveux longs comme Sandie Shaw, j’allais sur scène pieds nus. Une strip teaseuse parisienne avait du  glitter [des paillettes, ndlr]  — ce qui était inconnu à l’époque — et elle m’en avait donné. Les Rolling Stones, à cette époque là,  étaient sur scène à nous regarder bras croisés et très intéressés parce que Vince Taylor avait été une vedette à  l’époque où eux avaient commencé. »

Le Prince Stash et son ami Brian Jones, fondateur des Rolling Stones, au Piper Club en 1967

Son amitié avec les Rolling Stones, tout particulièrement avec Brian Jones, le fondateur du  groupe qui mourra tragiquement à 27 ans en 1969, le propulse dans le Swinging London. Ces  années 1960 où Londres est the place to be, où les Beatles et les Rolling Stones révolutionnent la  musique, tandis que Mary Quant invente la minijupe et que la jeunesse se rebelle, dans une  atmosphère pré soixante-huitarde, en s’affublant de tenues extravagantes, en vivotant de sex, drugs  and rock’n’roll. Quand on l’interroge à ce sujet, le Prince Stash cite la chanson des Who, son  radicalisme existentiel « I hope I die before I get old ». « C’était une époque où il y avait des menaces  nucléaires tout le temps, on se disait que c’était un monde de fous. La flamme d’après-guerre à la J’irai  cracher sur vos tombes brûlait aussi beaucoup chez nous. Nous avions une attitude de défi vis à vis de la  société, de ses valeurs, de ses conventions. »

Ces années d’émulation culturelle et de foisonnement artistique intenses sont vécues dans  une incompréhension totale des adultes qui détestent les cheveux longs arborées par les jeunes  garçons dans l’air du temps. Stash raconte avoir un jour entendu deux douaniers discuter devant  lui tout en le critiquant, parce qu’ils le croyaient Américain et ne savaient pas qu’il comprenait le  français : « mais pourquoi ils n’envoient pas tous ces gens là au Vietnam ? Moi, si mon fils avait cet aspect  là, je le tuerais de mes propres mains. »

« Il y avait une hostilité parmi ce qu’on appelait, nous, the straight world — l’Establishment, les  gens conventionnels, qui acceptaient les valeurs de la société de l’époque alors que nous étions des  marginaux. » Il est arrêté en même temps que Brian Jones lorsqu’on les accuse d’avoir trouvé de la  drogue chez eux, et m’explique que c’est cet événement qui précipitera le départ vers l’au-delà du  génial Brian Jones. La mauvaise publicité, l’interdiction de séjour aux États-Unis qui débouchent d’un procès pourtant cousu de très grosse ficelle, achèvent un Brian Jones déjà mis à mal par une psychologie instable. Après cet événement, il tombe dans une dépendance dramatique qui le mène à l’overdose le 3 juillet 1969. « Maintenant on entend des histoires invraisemblables selon lesquelles ce pauvre Brian  aurait été la victime de Mick [Jagger] et Keith [Richards] — ce qui n’est pas vrai du tout ! Dans un  groupe, surtout chez les gens très jeunes, on se taquine, on fait des choses pas très gentilles, on se chipe les  copines des autres… Brian était peut-être plus sensible que les autres et ne réagissait pas forcément de la  même manière aux taquineries habituelles. »

Lorsqu’on lui demande ce qu’il retient de cette existence haute en couleurs, il parle d’un  schéma de pensée héritée de la philosophie pré-socratique et de l’époque psychédélique : « On  n’est pas ce que l’on croit être. On a tendance à s’identifier en fonction de sa formation, son milieu, sa  nationalité, on soutient telle équipe, on est pour ceci et cela, on est contre ceci et cela. » Pour lui, on est  toujours déjà autre part : « Il y avait à l’époque psychédélique des tentatives de vaincre l’ego, de devenir  egoless, c’est-à-dire sans égo. La clé est d’être egofree. Libre de son égo : cette forme de pensée aide à  transcender le rôle que l’on joue. » Une réflexion philosophique héritée de la Grèce antique, à laquelle  on ajoute un twist du flower power des seventies — finalement, c’est tout Stash.

L’album Hackney Diamonds des Rolling Stones est disponible depuis le 20 octobre 2023 sur toutes les plateformes de streaming.

  1. Excellent article ,avec un respect de la trilogie :sujet,verbe ,complément exceptionnel.
    Le prince-st gagne tellement a être connu !
    La sortie de cet album était une excellente opportunité
    Homme de sa génération,je remercie l’autrice de me l’avoir fait découvrir.

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