Un mois après le témoignage de la streameuse Maghla dénonçant le cyberharcèlement et sexisme dont elle est victime, nous enquêtons sur le mouvement #MeToo et son évolution.
Le 24 octobre 2022, Maghla, une streameuse française, brise le silence sur ce que des milliers d’autres femmes subissent sur Internet. Critiques, insultes, menaces de viol, deepfakes, photographies pornographiques, ceci est une liste non exhaustive de ce que les femmes reçoivent lors de leurslive sur Twitch. Il a suffi à Maghla d’écrire un thread sur Twitter racontant en détail son quotidien en tant que femme sur cette plateforme de diffusion de vidéos en direct pour fairela Une des journaux.
je suis fatiguée et il est temps que je vous explique.
Des années que je streame et j’ouvre ma gueule sur 10% max du problème, parce qu’apparemment faut ignorer pour que ça passe.⬇️⬇️⬇️
— Maghlarnaque (@Maghla) October 24, 2022
Retweeté 35 000 fois, cité plus de 4 000 fois en deux semaines, le coup de gueule de la streameuse n’est pas resté dans l’ombre. Il a indigné un grand nombre d’internautes, poussé d’autres streameuses à témoigner et délié la parole. Maghla a reçu le soutien de milliers d’internautes, et de personnalités du web comme Hugo Travers, plus connu sous le nom d’Hugo Decrypte : un média visant à rendre l’actualité accessible, ou encore l’un des streameurs français les plus connus, Akunir.
Le monde du stream est dominé par l’homme, seulement 35% des utilisateurs sont des femmes. Pour approfondir notre enquête nous avons recueilli deux témoignages, celui d’un homme et celui d’une femme. Nous avons collecté deux avis de streameurs gaming : Robin et Polin. Robin est un Néerlandais qui stream sur Twitch depuis près de 2 ans. Pour lui les femmes ont autant leur place sur les plateformes de stream que les hommes. Il déclare que : “ Les femmes atteignent le sommet et qu’elles devraient pouvoir le faire, de la même manière que les hommes, sans harcèlement ni sexisme.” Quand nos discussions abordent les solutions à ces comportements sexistes, il répond qu’il “ pense que la seule solution est que les hommes s’expriment contre le harcèlement et le sexisme.” Robin souligne également que l’engagement des hommes dans le combat est essentiel.
Polin, une jeune Américaine, est sur Twitch depuis seulement deux mois, elle dit avoir la chance d’avoir une petite communauté bienveillante. Mais elle observe des moqueries du fait qu’elle soit une femme dans ce milieu. Elle affirme être “d’accord pour dire que, bien souvent, les femmes, surtout dans le monde des jeux, sont méprisées et même ridiculisées simplement à cause de leur voix.”. Elle précise que certains spectateurs de ses lives dépassent parfois les bornes, mais quand il s’agit d’expliquer leurs agissements, ils affirment “ c’était juste une blague ! ”
La question directrice de cette enquête est la suivante :En prenant pour appui l’affaire Maghla, ses accusations et les conséquences de sa prise de parole, “ Peut-on parler d’un mouvement #MeToo 2.0? ”. Depuis #MeToo, un mouvement social encourageant la prise de parole des femmes, nous observons depuis quelques années un changement pour les femmes quant à leur place au sein de la société et sur internet. Nous nous sommes entretenus avec Mary Hawkesworth, une professeure émérite de sciences politiques et d’études sur les femmes et le genre à l’université de Rutgers dans l’état du New Jersey et avec Camille, une adhérente depuis juillet 2022 de Metoomedia, une association de lutte contre les violences sexistes et sexuelles au sein des médias français.
Nous avons demandé à Camille pourquoi elle avait rejoint cette association. Elle nous raconte : “J’ai voulu faire partie de cette association parce que le combat contre les violences sexistes et sexuelles me tient à cœur. ” Camille témoigne d’une agression qu’elle a subie par une personne du milieu médiatique et souligne qu’elle a reçu un vrai soutien moral et juridique.
Nous avons discuté des mouvements#MeToo et #balancetonporc, Camille déclare que : « Grâce à #balancetonporc, les femmes ont pu dénoncer leurs agressions sans toujours attendre de conséquence directe sur la vie de leur agresseur mais plutôt comme une forme de solidarité féminine revendiquée et une demande de prise de conscience sociétale.” Selon Camille, #MeToo a eu des répercussions positives sur la société, ce mouvement a mis en lumière des violences et “des réactions et des recherches de solutions” même si cette dernière nous rappelle que les chiffres en France ne baissent pas. Elle énonce: “on dénombre notamment une moyenne de 94 000 viols ou tentatives de viols en France, chiffres du gouvernement et seulement 732 condamnations pour viol en 2020, chiffre de la Fondation des femmes.”
L’affaire Maghla est d’après Camille: “ significative de la volonté d’invisibilisation de la femme dans les milieux convoitisés.” La féministe met en lumière le courage dont Maghla a fait preuve. Elle précise que “ Les streameuses refusant de se plier au cyberharcèlement en disparaissant des plateformes sont, à mes yeux, un exemple parfait du combat féministe moderne dans le monde des médias.”
Si l’avis de Camille est positif quand à l’évolution vers un #MeToo 2.0, ce n’est pas l’avis partagé par l’Américaine Mary Hawkesworth dans une société gouvernée par un élitisme masculin. La Professeure Hawkesworth met en garde contre un optimisme naïf quant aux perspectives de transformation du mouvement #MeToo. Dans son ouvrage Théoriser le pouvoir du genre et les institutions genrées : Le harcèlement sexuel et la résistance à l’activisme féministe, l’experte contribue à expliquer la résistance bien ancrée aux efforts de changement social féministe. Hawkesworth affirme que “ le fait d’attirer l’attention sur un acte de harcèlement sexuel, l’interdire officiellement et l’éradiquer sont des choses très différentes qui ne peuvent être expliquées que par la théorie des institutions genrées.” Pour elle, le harcèlement sexuel est une forme de sexisme “ au sein des institutions qui fonctionne pour préserver les distributions de pouvoir qui privilégient l’élite masculine. “
Si le sujet reste complexe et contrasté, l’éducation et la prévention restent capitales. Le mouvement MeToo 2.0 a encore un long chemin à parcourir.