Engagé dans un bras de fer idéologique avec le très conservateur gouverneur de Floride Ron DeSantis, nouvellement réélu, Disney est considéré par certaines franges du parti républicain comme une figure de proue du “wokisme”, terme désignant à l’origine un état de conscience des problèmes de justice sociale mais approprié par l’extrême-droite pour dénigrer les mouvements progressistes.
Dans les derniers jours de campagne pour les élections de mi-mandat qui se sont tenues le 8 novembre 2022, le PDG de Disney, Bob Chapek s’est entretenu par téléphone avec plusieurs responsables du parti républicain, dont la large victoire dans les deux chambres du Congrès était alors jugée probable. D’après la chaîne CNBC, qui faisait état de ces conversations sur son site, ces appels étaient liés à l’inquiétude de l’entreprise de devenir une cible récurrente des conservateurs qui auraient le contrôle de la législature. Car depuis le début de l’année, Disney s’est régulièrement retrouvé au centre de débats de société, prenant position contre des mesures conservatrices défendues par les Républicains.
L’exemple « don’t say gay »
L’événement le plus représentatif de cet affrontement entre Disney et les Républicains est le vote, par le Congrès d’Etat de Floride à majorité républicaine, du “Parental Rights in Education Act”, appelé la loi “don’t say gay” (“ne dites pas gay”) par ses détracteurs. Adopté par la législature en mars 2022, ce texte interdit aux enseignants de l’Etat d’aborder les questions d’identité et d’orientation sexuelle avec des élèves âgés de moins de huit ans. Alors que ce texte était discuté par les législateurs, des militants démocrates se sont mobilisés contre le projet de loi, et ont reçu l’appui médiatique de Disney. L’entreprise s’est alors vue menacée par le gouverneur républicain ultraconservateur Ron DeSantis de se faire retirer son statut fiscal spécial dans l’Etat.
Depuis, Disney a continué de défendre les droits des minorités LGBT ou encore le droit à l’avortement chaque fois que ceux-ci ont été menacés, amenant les conservateurs à lui attribuer l’étiquette “woke”.
Changement de ton contraint
L’engagement de Disney aux côtés des progressistes ne semblait pourtant pas évident au premier abord. Fin février 2022, le Orlando Sentinel révélait, pendant l’examen du projet de loi “don’t say gay”, que celui-ci avait reçu le soutien financier de Disney, à travers des dons à ses principaux défenseurs. Le revirement soudain de la multinationale fait suite à un large mouvement interne de dénonciation des positions jugées hostiles aux minorités de la part de la direction, et particulièrement de Bob Chapek. Des employés de la multinationale ont contesté les prises de positions du PDG de Disney et ont organisé des marches de protestation.
Même s’ils n’étaient pas nécessairement nombreux dans ces manifestations, l’impact d’image était tel que la marque s’est vue forcée de prendre position contre les lois limitant les droits LGBT. C’est donc sous une certaine forme de pression que Disney s’est positionné contre le projet “don’t say gay” et est devenu une figure de proue de la dénonciation des décisions les plus conservatrices.
Satisfaire le public
Aujourd’hui considéré par les politiques, les militants et les médias conservateurs comme une sorte de monstre “woke” qu’il faut abattre en le boycottant et en lui coupant ses subventions, Disney se veut être en phase avec son époque. Interrogé en septembre dernier sur ces excès “wokistes” qui sont attribués à son entreprise, Bob Chapek a répondu que sa programmation était là pour satisfaire les demandes du public, et refléter “la richesse et la diversité” des spectateurs. C’est par exemple le sens du choix fait par le studio d’attribuer à une actrice noire le rôle principal de son remake en prises de vue réelles de La Petite Sirène. La sortie, en septembre, de la bande-annonce de ce film, avait créé une nouvelle polémique dans laquelle les arguments d’un côté comme de l’autre étaient davantage d’ordre politique qu’artistique. Tous ces affrontements idéologiques dans lesquels Disney est impliqué montrent que, alors que l’Amérique continue d’être profondément divisée, comme l’ont montré les résultats des élections de mi-mandat, il semble impossible pour une entreprise d’une telle envergure de rester en dehors des débats de société qui constituent une large part de ces divisions.