Migraineux.ses en errance médicale : L’État refuse de rembourser des traitements prometteurs

Face à la migraine, une maladie neurologique touchant 10,5 millions de Français – majoritairement des femmes–, l’errance médicale perdure.

La migraine se manifeste par des crises de maux de tête de 4 à 72 heures s’accompagnant de symptômes tels que des nausées, des vomissements, une intolérance à la lumière, etc. Les crises peuvent être précédées de symptômes avant-coureurs appelés « auras ». Une seule crise de migraine peut impacter la vie quotidienne pendant 7 jours. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) qualifie ainsi la migraine de première maladie invalidante au monde chez les moins de 50 ans (1) . L’association La Voix des Migraineux accompagne les patients souffrant de migraines pour les aider obtenir une meilleure prise en charge de leur pathologie, alors que « l’errance diagnostique constatée est d’en moyenne 7,5 ans et peut aller jusqu’à 15 ans ». Cette association milite pour que de nouveaux traitements prometteurs de la migraine soient disponibles en France et dénonce le refus de l’État de les prendre en charge jusqu’à présent. Nous avons interviewé Sabine Debremaeker, présidente de l’association, pour revenir sur leur combat.

Porter la voix des migraineux, un combat né d’expériences personnelles

Sabine Debremaeker est atteinte de migraines hémiplégiques avec aura motrice, caractéristique rare parmi les migraineux. De ses premières migraines, survenues à l’âge de 6 ans, elle retient « surtout les auras » et « beaucoup de vomissements, l’impression de voir des petites étoiles ». Constatant avec d’autres patientes migraineuses rencontrées sur les réseaux le sentiment d’abandon des migraineux, le peu de reconnaissance de leur maladie ainsi que le manque d’informations fiables disponibles, elle participe en 2018 à la création de l’association La Voix des Migraineux, qu’elle préside à ce jour. L’association se bat quotidiennement pour élargir la palette de traitements accessibles.

L’errance médicale et les obstacles à la bonne prise en charge de la migraine 

Malgré des avancées dans le traitement des migraines, de nombreux patients restent en errance médicale, luttant pour faire reconnaître leur maladie. Certains peinent à faire valoir leur statut de personnes handicapées, même si Sabine Debremaeker souligne que « de plus en plus de personnes obtiennent cette reconnaissance ». Selon elle, « les patients sont souvent mal informés, certains médecins affirment encore que les migraines ne sont pas un handicap ». Or, « sans certificat du médecin, les patients ne font pas la demande et se découragent ». Une autre difficulté rencontrée par les migraineux est la tendance de certains professionnels de santé à psychologiser leur condition. « Tout le monde croit savoir ce qu’est la migraine » soupire Sabine Debremaeker. Ces discours affectent particulièrement les enfants, ce qui ne manque pas de provoquer sa colère. Selon elle, bien que le soutien psychologique puisse être nécessaire pour accepter la maladie, « chercher ses causes dans un trouble psychologique est culpabilisant, c’est une perte de temps. Cela retarde parfois le diagnostic ou l’obtention d’un traitement ». Une enquête menée par La Voix des Migraineux de mars à mai 2022, auprès de 683 répondants, a révélé que 52,2 % d’entre eux avaient été confrontés à un ou plusieurs médecins minimisant leur condition, et que 66,5 % avaient vu leur condition assimilée à un trouble psychologique. 

Des traitements insuffisants et parfois dangereux

La prise en charge médicale de la migraine consiste à gérer les épisodes migraineux via un traitement de crise et à espacer ces derniers grâce à un traitement de fond. Les deux traitements de crise actuellement recommandés par la Société française d’étude des migraines et céphalées (SFEMC) sont les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et les triptans. Il existe trois traitements de fonds remboursés par l’État et considérés par la Commission de la transparence de la Haute autorité de santé française (HAS) comme rendant un service médical important. Ces traitements, non spécifiques à la migraine, sont le Laroxyl (un antidépresseur), le Propranolol (un bêtabloquant) et le Topiramate (un antiépileptique). Selon Sabine Debremaeker, la manière dont l’efficacité de ces traitements a été évaluée est problématique. Elle mentionne des études parfois « biaisées », pas suffisamment rigoureuses scientifiquement pour être probantes et une absence d’évaluation par la Commission de la transparence pour le Laroxyl. Pour le Propranolol, elle fait état d’études « anciennes », présentant également des « biais ». Les échantillons sont « trop faibles », les effets secondaires « même pas relevés », certains points méthodologiques « pas clairement exposés ». En outre, ces études ont le défaut de ne pas prendre en compte les échelles de qualité de vie, un indicateur qui « compte beaucoup » aujourd’hui. En ce qui concerne le Topiramate, il présente un danger considérable pour les fœtus. L’association La Voix des Migraineux s’est battue aux côtés de la lanceuse d’alerte Marine Martin pour dénoncer les effets nocifs de cet antiépileptique. D’après la présidente de l’association « on savait dès le départ qu’il y avait des risques de malformations ». Une étude scandinave publiée en juin 2022 démontre des risques de troubles neurodéveloppementaux chez le nouveau-né (2). Pour une pathologie atteignant majoritairement des femmes, « c’est quand même extrêmement risqué », risque que l’on ne peut tout simplement « pas tolérer ». Hormis le danger représenté par le Topiramate, La Voix des Migraineux ne nie pas que les traitements de fond actuellement remboursés soient efficaces pour certains, mais déplore qu’une efficacité supposée évaluée avec des procédés anciens bloque le remboursement de traitements de la migraine innovants et prometteurs.

Des nouveaux traitements prometteurs, mais difficilement accessibles

La migraine est une maladie polygénique avec 180 gènes de susceptibilité connus à ce jour (3), ce qui signifie qu’il n’y a pas de « médicament miracle » soutient Sabine Debremaeker. « Ce qu’il faut c’est élargir le nombre d’options de traitement pour les patients pour qu’ils aient une chance d’en trouver un ». Des recherches récentes ont démontré le rôle d’un neurotransmetteur appelé CGRP (Calcitonin Gene-Related Peptide) dans le déclenchement de la migraine. Des traitements spécifiques ciblant le CGRP ont été développés, représentant un réel espoir pour les patients en errance médicale. Il existe des anti-CGRP injectables par voie cutanée (comme AJOVY ou EMGALITY), et des anti-CGRP oraux (les gépants) remplissant la double fonction de traitement de crise et de traitement de fond, à l’instar du médicament VYDURA, commercialisé en France depuis le 10 octobre 2023. L’avantage de ce dernier est qu’il n’est pas contre-indiqué en cas d’antécédents cardio-vasculaires, contrairement aux triptans. L’autre alternative médicale prometteuse est l’injection de toxine botulique (Botox), bloquant partiellement les signaux nerveux responsables de la douleur. 

Le problème, c’est que certains de ces traitements prometteurs ne sont, à l’heure actuelle, pas remboursés par l’État. « Deux comprimés de VYDURA coûtent environ 30 euros », sans compter les marges fixées par les pharmacies, dénonce Sabine Debremaeker. Pour les anti-CGRP injectables commercialisés en pharmacie, les sommes s’envolent :  AJOVY coûte 270€ TTC et « parfois il faut ajouter 100€ supplémentaires de marge ». En France, pour bénéficier d’un traitement innovant de la migraine sans payer, il faut se rendre à l’hôpital. Certains anti-CGRP injectables, à l’instar du VYEPTI administré en intraveineuse et méconnu des patients, sont pris en charge – ce qui « pèse considérablement sur le budget de l’hôpital » mais permet aux patients d’être soignés gratuitement. Le Botox est également administré en centre hospitalier, sans frais pour le patient. Toutefois, pour bénéficier de ces traitements il faut compter des délais parfois extrêmement longs. La présidente de La Voix des Migraineux mentionne des « hôpitaux surchargés » où il est difficile d’obtenir un rendez-vous, sauf dans les cas les « plus graves ». En outre, le Botox est réservé aux migraineux ayant au moins 15 jours de crise par mois. « On espère presque être chronique pour pouvoir en bénéficier », ironise Sabine Debremaeker. « Le problème avec le Botox, c’est aussi qu’on manque de neurologues formés » regrette-t-elle.

Des obstacles au remboursement

Pour rendre un avis sur le remboursement d’un médicament, la Commission de la transparence de la HAS examine les données scientifiques existantes, les contributions d’associations comme La Voix des Migraineux et demande souvent l’avis d’un neurologue. Les décisions se fondent sur deux notes : la première consiste en l’évaluation du service médical rendu (SMR), et la seconde par l’évaluation de l’amélioration du service médical rendu (ASMR) par rapport aux traitements existants. Sabine Debremaeker nous confie que parfois, un soupçon de « liens d’intérêt avec les laboratoires » pèse sur les neurologues. En outre, si les traitements pour lesquels La Voix des Migraineux rédige une contribution obtiennent fréquemment la qualification de SMR important, l’ASMR est considérée comme inexistante. D’après Sabine Debremaeker, l’affirmation selon laquelle les nouveaux traitements évalués ne fonctionneraient pas mieux que les médicaments classiques est « absurde puisque ce sont des traitements spécifiques et les autres non ». En outre, en ce qui concerne la migraine, l’enjeu est justement d’élargir le nombre d’options à disposition des patients. Enfin, Sabine Debremaeker nous confie son incompréhension face à des décisions fondées sur les études datées et biaisées que nous mentionnions plus haut : « Comment la Commission peut-elle estimer que des médicaments évalués dans des études rigoureuses incorporant des échelles de qualité de vie ne valent pas mieux que les anciens médicaments dont aucune étude sérieuse ne prouve l’efficacité ? ». La doctrine développée par le Comité économique des produits de santé (CEPS) quant au remboursement des médicaments avec une ASMR inexistante ou faible empêche le remboursement d’un traitement ayant un coût supérieur à celui du comparateur le moins cher (4). Un rapport du Sénat de 2018 qualifie cette politique, datant de 2016, de « durcissement de l’appréciation ». « Des médicaments développés 40 ans après, avec une technologie innovante, on les rembourse au prix du Laroxyl qui coute 4€ ? » s’interroge Sabrine Debremaeker, désabusée.

Un travail essentiel mais difficile mené par les associations

Le travail des associations est essentiel afin de convaincre la Commission de la transparence de se prononcer en faveur d’une ASMR importante en ce qui concerne les traitements innovants de la migraine, mais elles sont confrontées à de nombreuses difficultés. Rédiger des contributions auprès de la Commission de la transparence, qui représentent « l’équivalent d’un mémoire de recherche rédigé en 45 jours », est « épuisant » et les données scientifiques ainsi que les études cliniques manquent cruellement pour étayer leurs propos. Peu de données scientifiques sont disponibles gratuitement, la majorité des publications scientifiques étant payantes ou réservées aux professionnels de santé. A titre d’exemple, elle nous confie qu’en France « aucune étude digne de ce nom, non biaisée, ne permet d’évaluer le fardeau sociétal représenté par la migraine ». Toutefois, grâce à la mobilisation de La Voix des Migraineux, d’autres associations et de professionnels de la santé engagés dans la reconnaissance et le traitement de la migraine, la sensibilisation sur cette pathologie s’accroît, ouvrant la voie à une meilleure prise en charge des patients. Une grande réussite de l’association est le nombre croissant de retombées médiatiques de leurs actions, ayant notamment permis de sensibiliser à la migraine chez l’enfant jusque dans la presse jordanienne. Malgré le refus récurrent des autorités de rembourser les nouveaux traitements, la migraine est désormais un sujet connu. Le dernier traitement en date pour lequel La Voix des Migraineux a déposé une demande de remboursement en France est le médicament AQUIPTA (gépant), qui a obtenu l’autorisation de mise sur le marché européen (AMM) en août 2023. La décision de la Commission de la transparence devrait intervenir dans les prochains mois.

Références

(1) : Steiner TJ, Stovner LJ, Jensen R, Uluduz D, Katsarava Z; Lifting The Burden: the Global Campaign against Headache. Migraine remains second among the world’s causes of disability, and first among young women: findings from GBD2019. J Headache Pain. 2020 Dec 2;21(1):137. doi: 10.1186/s10194-020-01208-0. PMID: 33267788; PMCID: PMC7708887 .

(2) : Bjørk M, Zoega H, Leinonen MK, et al. Association of Prenatal Exposure to Antiseizure Medication With Risk of Autism and Intellectual Disability. JAMA Neurol. 2022;79(7):672–681. doi :10.1001/jamaneurol.2022.1269 .

(3) : Grangeon L, Lange KS, Waliszewska-Prosół M, Onan D, Marschollek K, Wiels W, Mikulenka P, Farham F, Gollion C, Ducros A; European Headache Federation School of Advanced Studies (EHF-SAS). Genetics of migraine: where are we now? J Headache Pain. 2023 Feb 20;24(1):12. doi: 10.1186/s10194-023-01547-8. PMID: 36800925; PMCID: PMC9940421.

(4) : Comité économique des produits de santé (CEPS), Rapport d’activité 2016, annexe 4 (les méthodes de fixation du prix du médicament), publié en décembre 2017, p. 107.

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