DOSSIER Iran – Derrière le voile, la dictature ou la liberté

Place des victoires à Paris le 9 octobre 2022, un manifestant brandit un dessin représentant Mahsa Amini sur son lit d’hôpital tenant en main un bâton au bout duquel brûle un turban semblable à ceux portés par les ayatollahs du régime iranien.

Les Iraniennes ont fait du retrait de leur voile un des principaux symboles de leur opposition au régime islamique, pour qui ce vêtement est un marqueur idéologique fort.

Depuis le début des manifestations en Iran à la mi-septembre, les réseaux sociaux fleurissent d’images de femmes se montrant dans la rue sans leur voile, défiant les règles strictes du régime des ayatollahs, et ce malgré la menace de la police des moeurs qui fait respecter la loi avec autorité et parfois violence. Mahsa Amini, dont le décès supposé en détention est à l’origine de ces émeutes, avait elle-même été arrêtée pour son port inapproprié du voile. Si ce morceau de tissu est à ce point présent dans le contexte actuel, c’est parce qu’il est depuis plus de quarante ans au centre de l’idéologie et de l’exercice du pouvoir autoritaire du régime théocratique de Téhéran.

Le voile en Iran, une histoire mouvementée

A l’issue de la révolution qui a vu le chah d’Iran fuir le pays qu’il gouvernait jusqu’alors, l’ayatollah Rouhollah Khomeini proclame la république islamique d’Iran en février 1979. Le port du tchador – le nom donné au voile en iran – devient alors obligatoire pour les femmes. Dès le 8 mars 1979, à l’occasion de la Journée internationale des femmes officiellement mise en place par l’ONU deux ans plus tôt, les Iraniennes ont manifesté contre cette mesure, qui non seulement parut à certains contradictoires avec les déclarations antérieures de l’ayatollah Khomeini, mais qui marquait surtout une rupture profonde avec la politique sociétale menée par le précédent régime.

En effet, dans la première moitié du vingtième siècle, le chah d’Iran Mohammad Reza Pahlavi a mis un point d’honneur à aligner son pays sur les démocraties occidentales, allant même jusqu’à les devancer dans la mise en oeuvre de certaines réformes sociétales majeures. Ainsi les femmes iraniennes dans leur ensemble ont obtenu le droit de vote en 1963, soit plus de dix ans avant les femmes espagnoles et portugaises, et même deux ans avant l’ensemble des femmes américaines. En 1967, elles obtinrent des droits au divorce équivalents à ceux des hommes, puis quelques années plus tard se virent faciliter l’accès à des fonctions publiques qui leur étaient autrefois interdites.

Ces mesure progressistes s’inscrivirent dans la lignée des premiers efforts de modernisation de l’Iran opérés par Reza Pahlavi, le père de Mohammad Reza Pahlavi, qui en 1936 appliqua la mesure peut-être la pus marquante pour cet immense Etat de tradition musulmane, en interdisant totalement le port du voile, en 1936. Comme par ailleurs l’accès à l’éducation pour les femmes avait été encouragé, la société iranienne comptait à l’aube de la révolution une importante cohorte de femmes éduquées, qui exerçaient des professions qualifiées, et qui n’hésitèrent pas à exprimer leur refus d’être obligées de porter le voile.

Un régime théocratique inflexible

Mais ces protestations n’ont pas empêché le régime islamique d’inscrire dans la loi l’obligation de port du tchador pour les femmes en 1983. Dès lors, cet accessoire est devenu pour le régime un symbole essentiel de son idéologie. Par l’obligation du port du voile et sa sacralisation, la République islamique d’Iran affirme son identité et sa “libération” d’un régime monarchique soumis à l’impérialisme occidental, comme l’expliquait la sociologue Azadeh Kian à Slate début octobre.

C’est pourtant seulement en 2006, sous la présidence du populiste ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad, qu’est créée la Gasht-e Ershad, le corps de police chargé d’assurer le strict respect par la population du code de conduite islamique. Si les hommes peuvent être inquiétés par ces “patrouilles d’orientation” – plus communément traduite en “police des mœurs” – par exemple pour le port de pantalons trop courts ou de colliers, ou encore pour leur coiffure, ce sont surtout les femmes qui sont la cible de ces patrouilles.

Lorsque les camionnettes vert et blanc de cette brigade spécialisée circulent, les Iraniennes craignent d’être arrêtées, et maltraitées. Toutefois, cette police et ses méthodes dont l’objectif principal est de générer la peur divise au sein même de la classe politique iranienne, et selon les présidents élus, le zèle de la police des mœurs se fait plus ou moins ressentir bien que le président iranien n’ait que peu de pouvoir. Pendant le mandat du modéré Hassan Rohani (2013-2021) il était ainsi possible aux femmes de porter des jeans serrés ou des voiles colorés sans être arrêtées.

Mais le président élu en 2021, l’ultraconservateur Ebrahim Raïssi, qui fut un temps envisagé pour succéder à l’ayatollah Khomeini, a demandé à “toutes les institutions” de se mobiliser pour “renforcer la loi sur le voile”. Les patrouilles se sont donc fait plus fréquentes et plus insistantes, et des vidéos d’incidents avaient déjà circulé sur les réseaux sociaux, comme en juillet 2022, avec cette femme arrêtée par des agents féminins de la police des moeurs, et que des passants avaient aidée à s’enfuir jusqu’à l’arrestation de Mahsa Amini le 16 septembre et son décès en détention trois jours plus tard.

La contestation passe par les femmes

Les manifestantes iraniennes utilisent donc aujourd’hui le symbole central du pouvoir théocratique comme symbole central de contestation de ce même pouvoir. Parmi les nombreuses images que les protestataires ont donné à voir, on trouve non seulement des photographies et des vidéos de femmes dévoilées, mais également de voiles agités en l’air et même parfois brûlés.

Par ces gestes forts, les femmes se placent avec des revendications propres à l’avant d’un mouvement de contestation plus général, dont les deux slogans principaux : “Femme, vie, liberté” et “Mort au dictateur”, illustrent bien cette jonction.

“On est sur des mobilisations multiformes qui ne touchent pas uniquement à la question féministe”, explique Bibia Pavard, maîtresse de conférences en histoire à l’université Paris Panthéon-Assas et spécialiste de l’histoire des femmes, du genre et du féminisme. “Dans des régimes autoritaires, des moments de fortes mobilisations globales sur les conditions de vie, les questions économiques, de liberté politique sont des moments où les femmes participent toujours et où elles voient des fenêtres d’opportunité pour revendiquer leurs propres droits”, ajoute la chercheuse.

De fait, depuis 2017, des manifestations secouent l’Iran presque chaque année, avec des revendications socio-économiques plus larges que la question du voile ou des droits des femmes. Chaque fois violemment réprimés, ces mouvements n’ont jusqu’à présent jamais réussi à infléchir la position du régime, même si cette fois les manifestants veulent y croire, en Iran comme à l’étranger. C’est le cas par exemple du responsable de la fédération des associations kurdes à Paris, rencontré lors de la marche de solidarité aux femmes iraniennes organisée le 9 octobre : “Cette révolte qui a commencé par les femmes, par une femme d’origine kurde, ça permet de dynamiser toutes ces manifestations, et ça va devenir une révolte nationale pour l’Iran”. Mais pour le moment, un mois après leur commencement, les manifestations se poursuivent sans parvenir à faire plier le régime.

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