Femmes voilées vues de dos
“Masks of identity”, filtran/flickr, sous licence CC BY-NC-ND 2.0.

Au Maroc, le débat sur l’avortement est noyé par le silence tabou

Il est haram d’avorter, au Maroc, un sacrilège, mais il est aussi mal vu de simplement parler de la sexualité des femmes. Avorter, c’est synonyme de débauche et ceux qui le pratiquent sont punis de prison par l’article 449 du code pénal. Il y a deux mois, ce silence a tué une jeune fille.

« Le gouvernement [marocain] sous pression pour réformer l’avortement » titrait le Monde le 23 septembre. Ils couvraient alors les répercussions de la mort de Meriem, une adolescente morte tuée par un avortement clandestin quelques semaines plus tôt. Loin d’être un incident isolé, un rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé qui date de 2008 indique qu’en Afrique du Nord, 1500 femmes étaient mortes lors de 900 000 avortements clandestins. Dans le monde entier, elles étaient 47 000 à avoir perdu la vie. L’attention médiatique du drame a ravivé le débat sur la légalisation de l’avortement, dans un pays où cela est punit de six mois à cinq ans de prison si la vie de la mère n’est pas en danger.

Ce titre du Monde, ce n’est pas le premier: l’IVG est au Maroc l’un de ces débats qui ne cessent d’être ravivés, mais où personne ne s’écoute. Comme le débat des armes à feu aux États Unis; à chaque nouveau drame les médias font des gros titres, le peuple est dans la rue, mais rien ne change. Selon les associations militantes pour la légalisation, entre 600 et 800 avortements clandestins auraient lieu par jour.

La question est donc simple: comment est-il possible de légiférer sur un problème dont le débat est noyé de tabou et d’incompréhension?

« Si il y a une moitié des jeunes qui sont libérés sexuellement, ils garderont ça secret de leurs parents, on en parle pas. Si on soulève le débat, ils répriment sans y participer, c’est le silence. La famille contrôle tout, il y a des filles qui se marient juste pour pouvoir quitter la maison » témoigne Mehdi, jeune musicien marocain installé en France. « Ça vient du Coran: si une fille est active sexuellement c’est une pute, elle est impure. On a beau avoir une séparation de l’Église et de l’État, ça ne change rien si tout le monde est religieux. Tous les partis politiques sont musulmans, on ne va nulle part avec un tel socle commun. »

Femmes voilées vues de dos
“Masks of identity”, filtran/flickr, sous licence CC BY-NC-ND 2.0.

Dans les pays à majorité musulmane, la Turquie et la Tunisie sont les seuls à autoriser les avortements volontaires. De façon dominante, les autorités religieuses considèrent que l’interruption de grossesse va à l’encontre de la volonté divine. Si certains autorisent l’IVG jusqu’à 120 jours, le Coran dicte dans le verset 151 du Surat Anaam « ne tuez pas vos enfants pour cause de pauvreté. » D’un autre côté, le Coran demande aussi de préserver la vie; si cela s’applique à la mère relève donc de l’interprétation.

« La démocratisation dans le monde arabe se fait donc d’abord avec les mouvements islamiques et non contre eux » écrit en 2013 Youssef Befal, politologue à l’université de Rabat, dans L’Islam politique au Maroc. Il y a 99% de musulmans au Maroc. Cela veut dire que même séparé de l’église, l’argument de la moralité religieuse peut être facilement brandit par les autorités. Au Parlement, il n’y actuellement que 96 femmes, dont 90 qui doivent leur place à des listes de discrimination positives exclusivement féminines. Le débat sur l’avortement est donc au Parlement un débat d’hommes musulmans, à 75,7%; des hommes résolument fermés à ce débat. Si il y a toujours plus de femmes et moins de religion que plus tôt dans l’histoire du Maroc, les obstacles au débats restent les mêmes. l’histoire du Maroc, les obstacles au débats restent les mêmes.

« La virginité c’est quelque chose de sacré » témoigne Régine Gailhanou, d’origine marocaine et militante pour le droit à l’avortement durant les années 80, “Les enfants nés hors-mariage on les appelle des ‘enfants du péché’, des bâtards, je n’ose même pas prononcer le mot en arabe tellement il est vulgaire. »

Légaux ou non, les avortements ont lieu, c’était déjà une vérité à l’époque: « celles qui pouvaient se le permettre allaient en France, ou trouvaient un médecin qui acceptait d’avorter au Maroc, mais ils étaient peu nombreux, et très chers. Pour les gosses du peuple, c’était dramatique » continue Régine. Selon Mehdi, les rares médecins qui acceptent d’avorter se chargent aussi de couvrir leurs patientes de honte, de leur faire comprendre le sacrilège de leur acte.

Dans le cas de Meriem, en septembre, c’est un avortement illégal et insalubre qui lui a coûté la vie. En 2012, Amina El Filali, 15 ans, n’avait pas eu accès à l’IVG, même clandestin, et avait été forcée par sa propre famille à épouser son violeur. Cela valait mieux pour la réputation de la famille que d’avoir une fille qui aurait eu des relations sexuelles hors mariage. Amina El Filali a mit fin à ses jours pour y échapper.

Le tabou religieux du sexe hors mariage tue le débat à la racine, et la responsabilité retombe toujours sur les femmes: leur grossesse est preuve de leur impureté, et les violeurs s’en vont libres.

« Pour un vrai changement il nous faut une révolution comme en Iran » dit Mehdi. « Il n’y a pas de voile à arracher mais l’oppression est la même. »

En interrogeant Régine sur les conclusions qu’elle tirait de l’histoire de sa lutte, et de l’état actuel du débat, sa réponse fut la suivante: « Le plus grand défi c’était l’éducation, sinon on ne peut pas discuter. […] Il faut tout le temps se battre pour ses droits, ils sont tout le temps remis en question. C’est pour ça que ça doit être inscrit dans la Constitution. »

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