Récompensé cette année au festival du film de San Sebastian, Le Cercle des Neiges a prolongé sa promotion internationale en faisant un arrêt au Christine Cinéma Club à Paris ce mercredi 18 octobre. Pour l’occasion, le réalisateur, Juan Antonio Bayona était présent.
Produit et distribué par la plate-forme de streaming Netflix, Le Cercle des Neiges ne se destine pas au cinéma. Pourtant, c’est bien sur grand écran que les spectateurs du cinéma indépendant parisien ont pu découvrir ce film avant sa sortie officielle le 4 janvier 2024. Une première donc – mais aussi une dernière.
La petite salle en sous-sol était pleine à craquer. Devant les spectateurs, Juan Antonio Bayona – connu notamment pour avoir réalisé le nominé The Impossible – a tenu à introduire la projection par une brève explication de son travail sur le film. Il commence par demander dans sa langue maternelle si le public est familier avec cette histoire – celle du crash du vol 571 dans les Andes en 1972 et dépeinte dans Le Cercle des Neiges. Quelques mains à peine se lèvent. Bayona ne s’étonne pas. « Dans mon pays, tout le monde aurait levé la main », révèle-t-il. Plus qu’un fait divers, cet événement relève du miracle. En le portant à l’écran, le réalisateur le fait connaître au monde entier. Le Cercle des Neiges, continue-t-il, est une adaptation – celle du livre écrit par le journaliste uruguayen Pablo Vierci qui a recueilli les témoignages des quelques survivants du crash. Bayona lui-même est allé à la rencontre des rescapés et a longuement échangé avec eux afin d’être le plus réaliste possible. On lui a alors demandé s’il comptait à nouveau raconter leur histoire comme ce fut déjà le cas avec Les Survivants – première adaptation cinématographique sortie en 1993. Il répond avec nuance que son film ne portera pas sur les survivants, mais plutôt sur les victimes. Le Cercle des Neiges est le récit des morts à travers la voix de ceux qui peuvent encore parler. Une variation qui se ressent tout au long du visionnage.
Présenté à la Mostra de Venise, ce long-métrage a été désigné pour représenter l’Espagne lors de la prochaine édition des Oscars, dans la catégorie du meilleur film international. Netflix continue ainsi son ascension vers Hollywood et gagne de plus en plus de terrain en accordant sa confiance à des réalisateurs de renom. A quel prix?
L’oeil des experts
Anthéa CLAUX : Ce qui frappe au premier abord, c’est l’immersion totale dans l’histoire. Accentué par une projection sur grand écran, tout choc est décuplé – si bien que la violence de l’accident surprend. On voit les corps se déboîter, être propulsés et, si l’on tend bien l’oreille, on peut entendre les os craquer. Scène clé du film, elle est rejointe une heure plus tard par une avalanche inattendue dont la collision avec la carcasse de l’avion où se cachent les survivants fait tressaillir le spectateur de son siège. Une expérience qui ne pourra pas être reproduite à domicile.
Le traumatisme laissé par la force des images est renforcé par la mise en place progressiste de l’ultime transgression. Le spectateur observe les hommes dépérirent, réduits à commettre l’impardonnable. Le dilemme entre croyance et survie témoigne de la grande détresse dans laquelle ils se trouvaient. Si le réalisateur a fait le choix de ne masquer ni les carcasses humaines, ni « la viande » – comme elle est sobrement appelée – il dissimule la préparation des corps afin de ne pas tomber dans le voyeurisme morbide. Tout est dit dans le respect des disparus. C’est à eux d’ailleurs qu’est dédié le film. Si Les Survivants – comme son nom l’indique – mettait en scène le récit des rescapés, Le Cercle des Neiges innove et donne la parole à ceux qui n’en ont plus. Cela se traduit par le choix du narrateur et le désir de nommer un par un chaque personne décédée en inscrivant son identité sur l’écran.
L’humanité qui en ressort frappe le spectateur. Tout commence par l’importance de remettre la chaussure manquante à un mort pour préserver sa dignité, puis un concours de rime, de la camaraderie et des rires égarés – jusqu’à la valise à souvenirs, trésor inestimable et dernier vestige des disparus. « La plus belle preuve d’amour, c’est de donner sa vie à ses amis », peut-on même entendre. Point fort également de cette adaptation : la fidélité et l’authenticité. Ici Ethan Hawke ( interprète dans Les Survivants ) laisse sa place à un jeune acteur argentin. Le casting composé de brillants jeunes argentins et uruguayens est minutieusement choisi pour ressembler à quelques détails près aux originaux.
Quant à la forme, les musiques accompagnent justement les ascensions en montagne et les plans larges font paraître les personnages plus minuscules que jamais sur cette étendue blanche. Le vide les entoure et la solitude règne – si bien que sur les deux heures et demie que dure le film, on peut ressentir quelques longueurs et lenteurs. Après tout, que peuvent bien faire nos héros seuls au milieu de nulle part si ce n’est survivre indéfiniment ? Il n’en reste pas moins que Le Cercle des Neiges est un film à la fois brutal et bouleversant.
Anouk AITOUADDA : En présentant son film « Le cercle des neiges », Juan Antonio Bayona annonçait une « immersion cinématographique ». La promesse est remplie. Le film est frappant de réalisme, il plonge le spectateur dans l’histoire, lui donne une place privilégiée, jusqu’à faire de lui un personnage, un passager de l’avion. La réalisation maîtrisée permet cette immersion au travers d’un jeu sur les sens qui est poussé à l’extrême. On ressent tout comme si on y était ; on entend le vent qui claque les joues et balaye tout sur son passage, on sent le froid qui fait mourir en plein sommeil, sans un bruit, on est aveuglé par le soleil irradiant que la neige des montagne réverbère, on imagine l’odeur des corps qui sont entreposés dehors, à l’écart des vivants. La nature, elle aussi, devient un personnage à part entière. L’immensité des montagnes rappelle aux hommes comme ils sont petits loin des villes construites à taille humaine. La force des intempéries met en évidence notre impuissance face aux éléments qui nous balayent à leur guise.
La mise en scène maintient une parfaite tension entre les mondes naturel et humain symbolisés par deux espaces distincts : la montagne qui s’étend à perte de vue au grand air et la carcasse d’avion, un espace clos dans lequel les survivants sont le plus souvent confinés.
Le film raconte avant tout la lutte des hommes face aux forces de la nature, qu’ils apprennent petit à petit à apprivoiser. Au milieu de ces montagnes gigantesques la vie subsiste ou s’éteint. Le film est rythmé par la mort irrémédiable des personnages et nous tient en haleine pour savoir qui sera des vivants, de ceux qui rentreront chez eux, si jamais cela arrive. Ce sont dans ces conditions extrêmes que naissent au grès des événements des amitiés, des doutes existentiels, la résignation pour certains et l’espoir pour d’autres. Le film porte son originalité et sa délicatesse dans la grande humanité avec laquelle la caméra nous fait regarder les personnages. On se prend d’affection pour chacun de ces hommes qui se distinguent par leurs fortes personnalités. Leur amitié et les rares moments de joie sont les seuls liens qui les rattachent à leur humanité et sont eux aussi une forme de lutte, contre le désespoir et la folie.
Les seuls défauts sont les quelques longueurs de ce film de deux heures vingt, qui aurait pu être réduit de vingt minutes et ne s’en serait pas plus mal porté, ainsi que des moments un peu « tire larme » qui sont en trop.
En résumé, « Le Cercle des neiges » est un film catastrophe réussit en ce qu’il tient sa promesse de sensationnalisme, nous fait voyager et se distingue par un humanisme très touchant. Le film est à voir ! Sauf si on prend bientôt l’avion…
Le « Miracle des Andes »
Fernando (Nando) Parrado publie son témoignage sous ce titre en 2006 – trente-quatre ans après les événements qui l’ont conduit à faire tout ce qui était possible et inimaginable pour survivre en climat hostile.
Le 13 octobre 1972, le vol Fuerza Aérea Uruguaya 571 en provenance de Montevideo et à destination de Santiago (Chili) termine sa course dans la cordière des Andes. A son bord, se trouve l’équipe de rugby des Old Cristians composée de jeunes hommes dont les plus jeunes sont encore des adolescents, ainsi que quelques membres de leur famille. Un tiers des passagers meurent sur le coup, les autres perdent la vie les jours qui suivent – de froid, de faim ou pris sous les avalanches à répétition. Piégés dans un désert de neige, les survivants s’organisent pour tenir jusqu’à l’arrivée prochaine des secours. Rapidement, ils comprennent que personne ne viendra les chercher. Les rations s’amenuisent et ils se voient contraint de briser l’un des tabous de notre société – l’anthropophagie. Réduits à se nourrir du corps de leurs camarades morts, ils parviennent à tenir 72 jours en montagne – seuls. Un miracle, dit-on alors. En décembre, Fernando et Roberto Canessa partent en expédition périlleuse pour franchir la montagne et chercher des secours – ce qu’ils parviennent à faire. Sur les 45 passagers présent à bord le jour de l’accident, seulement 16 survivent. Aujourd’hui, ce sont eux qui préservent la mémoire de leurs amis décédés dans les Andes en publiant leur témoignage, participant à des documentaires et des adaptations cinématographique de leur histoire. Un récit qui ne cesse de fasciner par sa brutalité et son humanité.
Pour aller plus loin
- Les Survivants, Piers Paul READ, Grasset, 1993
- Miracle dans les Andes, Fernando PARRADO, Le Livre de Poche, 2006
- Naufragés des Andes, Gonzalo ARIJÒN, 2007, 126 minutes.