Des Oscars aux Golden Globes, en passant par le Festival de Cannes, les films coréens ont récemment connu une ascension fulgurante et gagné en reconnaissance auprès du public – y compris en France. Mais qu’est-ce qui attire donc les Français vers cet art venu du Pays du Matin Calme ?
Le mois de novembre a commencé sur une note très positive pour le cinéma coréen en France. La 18e édition du Festival du Film Coréen à Paris, qui a débuté le 31 octobre, s’est terminée le 7 novembre avec une séance de clôture à guichets fermés. Comme un signe du destin, la Cinémathèque française proposait du 2 au 10 novembre une rétrospective autour du réalisateur renommé Kim Jee-Woon. A cette occasion, le réalisateur coréen a fait le déplacement jusqu’à Paris pour présenter en avant-première son tout nouveau long-métrage intitulé Ça tourne à Séoul ! Cobweb au public de la Cinémathèque Française et du MK2 Bibliothèque.
Ce film, qui a été présenté cette année au Festival de Cannes, met en vedette la star coréenne Song Kang-Ho (connu pour ses rôles dans Parasite, Memories of Murder, Le Transperneige et The Host) dans le rôle d’un metteur en scène déjanté. La salle était pleine à craquer lors de la projection. Il y a vingt ans, lorsque Kim Jee-Woon était à Paris pour présenter Les 2 sœurs, il aurait pourtant été difficile d’imaginer un public aussi nombreux. Alors comment expliquer cet intêret grandissant pour le cinéma coréen en France ?
Un cinéma original à bien des aspects :
Les spectateurs sont ceux qui en parle le mieux. « Le cinéma coréen, c’est un cinéma qui est plus fou, plus libre » nous confie Erwan DROUILLAC, 23 ans, étudiant. Présent lors de l’avant-première de Ça tourne à Séoul ! Cobweb, il considère que le cinéma coréen est caractérisé par une violence brutale et crue. A la manière de l’intense combat à coup de marteaux, barres de fer et de poings fermes dans un couloir dans Old Boy réalisé par Park Chan-Wook, la violence est excessive et transgressive.
Pour Sophie LATTAPY, 55 ans, le cinéma sud-coréen est libre. Il ose et casse les codes – quitte à malmener le spectateur. Les scénarios reposent sur une série de rebondissements qui surprennent même les plus aguerris. Interrogée sur les raisons qui l’amènent à regarder des longs-métrages coréens, Angie LA TORRE, 36 ans, grande consommatrice de cinéma coréen, nous révèle qu’elle est souvent surprise par le dénouement du film.
D’autres encore, relèvent le caractère social des films sud-coréen. Ainsi, About Kim Sohee, réalisé par July Jang, évoque les conditions de travail étouffantes en Corée qui poussent des hommes et des femmes au suicide. Pauvreté, corruption et injonctions sociales imposées sont mis en lumière, « enrobés dans beaucoup d’humeur, de drame, et souvent d’une extrême violence et d’un esthétisme visuel extraordinaire » déclare Farah CHENNIT, 44 ans et présente à l’avant-première du nouveau film de Kim Jee-Woon.
Romaric BERLAND, chercheur en études cinématographiques, confirme les impressions des spectateurs. Depuis 2018, il effectue une thèse à l’Université de la Sorbonne Nouvelle au sujet de l’expérience du spectateur français sur le cinéma de genre sud-coréen. Selon lui, le cinéma coréen se distingue des autres productions internationales par sa virtuosité à mélanger les genres :
Le spectateur est embarqué dans une aventure, où l’on passe du rire aux larmes et où l’on finit par ne plus savoir s’il faut rire ou pleurer.
Les films coréens sont caractérisés par un choc – celui du spectateur qui reste à la fin en « état de sidération ». Le personnage principal est constamment en lutte et subit une oppression qui constitue l’aspect social ressenti par les spectateurs et à laquelle il souhaite se libérer. Romaric nomme cela « l’énergie contestataire » qui se manifeste par de la violence désordonnée et décomplexée et qui conduit à l’auto-destruction.
A cela, se rajoute un marquage esthétique visuel reconnaissable. On reconnaît aisément une œuvre de Bong Joon-Ho par son mélange des genres et sa critique sociale. Romaric s’intéresse au public français. Il constate que, bien souvent, les spectateurs ont tendance à opposer le cinéma coréen au cinéma américain. Réduit au happy-ending dans l’imaginaire collectif, le cinéma coréen s’oppose à cette idée et n’hésite pas à tuer le héros – même une enfant comme dans The Host, réalisé par Bong Joon-Ho. Le film raconte l’histoire d’un père de famille qui tente de retrouver sa fille, enlevée par une créature amphibie vivant dans les eaux du fleuve Han où des scientifiques du base militaire américaine déversaient des produits toxiques.
Quand Truffaut inspire Bong Joon-Ho:
Si le cinéma coréen souffle un air frais dans le paysage cinématographique, il a longtemps puisé son inspiration dans le cinéma occidental. Kim Ki-Duk, figure historique du cinéma coréen contemporain a fait ses études à Paris et était un cinéphile du septième art à la française. Son amour pour le cinéma français se perçoit dans ses œuvres qualifiées de poétiques par les critiques et chercheurs du monde entier.
Plus tard, dans les années 90, les films étrangers s’exportent plus aisément en Corée et une génération de cinéphiles se forme. Parmi eux, se trouve Bong Joon-Ho. Devant la caméra de Lee Hyuk Rae dans le documentaire Netflix, Yellow Door : Laboratoire underground du cinéma coréen, le réalisateur primé coréen révèle avoir visionné les classiques de Truffaut et Godard. Il décortiquait Raging Bull de Martin Scorsese et Le Parrain de Francis Ford Coppola. Avec entre autre, Kim Jee-Woon et Park Chan-Wook, il formera la nouvelle vague coréenne.
L’illustration la plus emblématique est celle donnée par Antoine Coppola, chercheur en cinéma à l’Université Sungkyunkwan en Corée, dans son ouvrage Dictionnaire du Cinéma Coréen. Alors que Dernier Train pour Busan, réalisé par Yeon Sang-ho, met en scène des zombies, Coppola considère ce motif comme un « marqueur culturel de l’occidentalisation ». De même, au visionnage de The Host, réalisé par Bong Joon-Ho, comment ne pas penser à Godzilla face à une créature gigantesque qui surgie du fleuve à Han en plein cœur de Séoul.
Le titre Le Bon, La Brute et Le Cinglé, long-métrage de Kim Jee-Woon sorti en 2008, évoque les westerns spaghetti de Sergio Leone. Le réalisateur déclare en 2019 pour la revue française Cinemateaser :
Les films qui m’ont le plus marqué et qui m’ont touché dans ma jeunesse sont des films américains, japonais ou français, car ils étaient bien plus avancés que les films coréens de la même époque.
Pour Romaric BERLAND, le cinéma coréen a de « l’ADN américain ». En reprenant les codes des genres familiers des spectateurs occidentaux – thriller, polar, horreur et drame – les cinéastes coréens parlent à un public qui dépasse les frontières et qui reconnaît les codes. Comme l’explique Romaric, les spectateurs se sont familiarisés avec les codes des genres, désormais universels et communs – peu importe le pays d’où est issu le long-métrage. Même si les réalisateurs affirment ne pas chercher à atteindre un public international, certains y parviennent. Leur lien avec les références digérées par le public occidental et leur capacité à « s’inspirer d’une manière de faire à l’américaine tout en y inculquant leur propre culture » – comme le dit justement Lucile RIFFLET, assistante de programmation chez THE JOKERS, et qui a effectué un mémoire sur la manière dont Netflix a changé le paysage des films coréens en France.
Halluywood à la conquête de la France:
Rome ne s’est pas faite en un jour. Il en est de même pour la présence de films coréens sur grand écran. Comme nous l’explique Romaric, le déclin progressiste du cinéma de Hong-Kong – qui était auparavant le cinéma asiatique le plus populaire, a « laisse un trou d’air permettant au cinéma coréen de trouver sa place ». Le Festival de Cannes diffuse en 1988 son premier long-métrage coréen Pourquoi Bodhi-Dharma est-il parti vers l’Orient ? à l’occasion de la Semaine de la Critique. En France, dans les années 90, les films coréens sont encore réservés à une poignée de cinéphiles. Le Centre Pompidou organise une rétrospective sur le cinéma sud-coréen en 1993. Les films sont diffusés uniquement en festival et sortent discrètement en VHS puis en DVD. Le public français a du mal à se fournir.
Boris PUGNET, directeur marketing chez THE JOKERS – une société française indépendante de distribution spécialisée dans le cinéma asiatique – nous raconte l’ascension des films sud-coréens en France.
A l’origine, le public intéressé par le cinéma coréen est un public « télérama » – comme il le qualifie. Cette vieille génération de cinéphiles apprécie lorsque le film en question reflète l’image qu’ils se font de la Corée – à savoir un pays de tradition et de culture. Leur favori : Kim Ki-Duk. Son film L’Île sorti en 2000 est le premier film distribué en France. Diffusé dans quelques cinémas d’art et d’essai, ils se forgent rapidement une réputation auprès du public français de l’époque. Quelques années plus tard, Printemps, été, automne, hiver… et printemps, fait 200 000 entrées en France. Le double de Memories of Murder de Bong Joo-Ho sorti la même année. Pour cause, un public attaché aux traditions dont les poils se hérissent face à des films provocants.
Au début des années 2000, la génération cinéphile coréenne issue des années 90 se fraie un chemin vers l’Occident et bouleverse le paysage cinématographique coréen sur la scène internationale. Pour Romaric, l’un des films phares de cette première mise en lumière est Old Boy. Détenteur du Grand Prix du Jury remis par Quentin Tarantino lors du Festival de Cannes en 2004, le film de Park Chan-Wook concrétise le nouvel âge d’or du cinéma coréen.
Les festivals internationaux présentent des films sud-coréens et permettent à un nouveau public de s’intéresser. Les critiques s’émerveillent devant des cinéastes sans filtre qui osent. Fort de ce succès, pour les distributeurs français, le moment est venu de distribuer des films coréens en France. Comme l’écrit Antoine Coppola dans son ouvrage :
Après s’être intéressé à des valeurs sûres du cinéma coréen, les programmateurs français semblaient vouloir se tourner vers le nouveau cinéma coréen et vers des films plus imprévisibles.
Désormais, les films de genre se font une place dans les cinémas français et attirent un public curieux, jeune et friand d’expérimentation. La percée coréenne en France se poursuit tout au long des années 2010. Avec 200 000 entrées par semaine, Le Transperceneige réalisé en 2013 par Bong Joon-Ho, avec au casting une poignée d’acteurs anglophones, devient le film coréen le plus vu en France. Basé sur une bande-dessinée française, le film se déroule dans un futur lointain où le réchauffement climatique a rendu toute vie sur terre impossible. Les quelques survivants sont forcés de vivre dans un train lancé à toute vitesse – le transperceneige – et qui fait le tour de la terre. Si l’élite jouit d’une belle vie, les classes inférieures dans ce train décident un jour de se révolter. A sa sortie, le film parvient à se classer dans le top 5 du box office, à quelques pas des blockbusters américains. Pour certains, comme Lucile RIFFLET, c’est une découverte : « je me suis dit que les Coréens pouvaient faire des merveilles. » A cette même période, THE JOKERS est créé par Manuel Chiche – co-fondateur de la société de production et distribution Wild Side – et entre sur le marché de la distribution de films sud-coréens en France. Ils font l’acquisition de Mademoiselle, le nouveau long-métrage de Park Chan-Wook, en compétition pour la Palme d’Or à Cannes. Pour les habitués, le cinéma coréen se perfectionne.
Le public se diversifie. Selon Boris PUGNET, directeur marketing chez THE JOKERS, 70% des spectateurs ayant vu Parasite ( Bong Joon-Ho ) au cinéma avaient plus de 50 ans. L’ancienne génération de cinéphiles frileuses des expérimentions coréennes s’est mise à la page et les plus jeunes découvrent un cinéma venu d’Asie.
Le triomphe de Parasite :
Comme Ella SOUKASMARAN, 18 ans, étudiante en cinéma, et Erwan DROUILLAC, Parasite sorti en 2019 a été le premier film coréen visionné par de nombreux français. Une « énorme claque en termes de scénario, de construction, de mise en scène » selon Erwan. Avec plus d’un million d’entrées en France, Parasite est à ce jour le film coréen le plus visionné dans l’hexagone et dans le monde. Projeté sur le devant de la scène par les festivals internationaux, Parasite est le film de tous les records.
Il devient le premier film étranger à gagner un Academy Award dans la catégorie meilleur film et obtient quatre Oscars, ainsi que des Golden Globes et des BAFTA (British Academy of Film and Television Arts). Une prouesse et un coup de projecteur conséquent pour le distributeur indépendant THE JOKERS, qui porte le film jusqu’au Festival de Cannes où il reçoit la Palme d’Or. Sous la plume du Figaro, Manuel CHICHE admet que Parasite constitue une « troisième voie que nous essayons de creuser : un cinéma qui sera défendu par les jeunes cinéphiles demain. »
Parasite est un véritable succès à tous les égards. Comme nous l’explique Romaric, son mélange subtil des genres, son esthétisme et son texte autour de la lutte des classes en fait une œuvre à la fois singulière et universelle. Tous les codes du cinéma coréens sont réunis et traités de manière plus abordable pour un public amateur et curieux. Il constitue selon Romaric la « carte de visite » de la Corée du Sud.
Pour beaucoup, Parasite enfonce pour de bon la porte ouverte par Old Boy au début du siècle. Le cinéma coréen, à présent confortablement installé dans l’esprit des Français, poursuit son chemin sur le tapis rouge des festivals. A Cannes, notamment, les films sud-coréens ont désormais une place d’honneur. L’année dernière, Decision to Leave de Park Chan-Wook – distribué par BAC FILM – avait remporté le prix de la mise en scène. Cette année, le festival accueillait Hopeless pour Un Certain Regards et Ça tourne à Séoul ! Cobweb.
En-dehors des festivals, la stratégie mis en place par THE JOKERS pour faire découvrir au plus grand nombre le cinéma coréen est celles des sorties en version restaurée et remastérisée. En 2018, le public français avait pu découvrir pour la première fois sur grand écran JSA, réalisé par Park Chan-Wook, dix huit après sa sortie en Corée. Cette année, THE JOKERS proposait une projection inédite en France de The Host dans une version 4k en présence du réalisateur au Grand Rex. Une édition collector sortira prochainement. Il n’y a d’ailleurs pas que dans la capitale que le distributeur fait campagne pour le cinéma coréen. Récemment, à Clermont, petite ville de l’Oise, un membre de THE JOKERS était venu présenter une séance unique de The Host devant un public relativement âgé qui pour la première découvrait le film. Après la capitale, centre de vie culturel, le cinéma coréen gagne les régions.
Les racines animées de la passion française pour le cinéma coréen :
Lorsque l’on interroge Estelle CLAUX, 51 ans, adjointe administrative, sur les origines de sa passion pour le cinéma coréen, elle nous répond :
Cela doit sûrement venir de mon enfance. Quand j’étais petite, je regardais beaucoup les animés japonais qui passaient à la télévision – comme Albator ou Goldorak.
Elle n’est pas la seule. Farah CHENNIT, elle aussi grande fan du cinéma asiatique, nous confie avoir également grandi avec les animés comme Dragon Ball Z. Peut-on y voir un schéma ? Pour Boris, de chez THE JOKERS, c’est une évidence. Les générations nées dans les années 70 et 80 ont grandi avec les animations japonaises diffusées durant Récré A2 et Club Dorothée. A cette époque, ces dessins animés étaient bien moins chers à diffuser. Aujourd’hui, pour les plus jeunes, cela passa par le succès des œuvres d’animation du japonais Hayao Miyazaki. Son nouveau film, Le Garçon et le Héron, sorti le 1er novembre 2023, réalise 700 000 entrées en une semaine seulement.
La France, est un « terreau fertile à la culture asiatique » déclare Boris PUGNET. L’intérêt des Français porté sur le cinéma coréen n’est donc pas un hasard, il est issu d’une longue histoire d’amour pour le Japon. La Corée constitue la suite logique.
La commercialisation du cinéma coréen à l’étranger :
Au Pays du matin calme, tout comme en France, le gouvernement finance et soutient le septième art dans sa politique d’exportation culturelle à l’étranger. Le KOFIC ( Korean Film Council ) investi dans les productions locales. Cette proximité renforce les liens entre les industries françaises et coréennes. Cette année, un partenariat signé avec le CNC ( Centre National du Cinéma ) aboutit à la création de l’Académie France – Corée du cinéma.
Si, la Corée se classe dans le top 10 des industries cinématographiques dans le monde a Corée se classe dans le top 10 des industries cinématographiques dans le monde, c’est en grâce à l’industrialisation du cinéma en Corée. Historiquement, face à la loi sur les quotas d’importation de films étrangers imposés de 1993 à 2006 afin de préserver le cinéma local, la Corée se met à produire une grande quantité de films. Des investisseurs privés nommés « chaebols » comme Samsung mettent le doigt dans l’engrenage et commercialise le cinéma dans le pays. Les succès s’exportent et participent à l’économie du pays. En 2023, l’exportation à l’étranger de films coréens engendre 71.4 millions de dollars.
La vague coréenne inonde la France :
Spectateurs, experts et distributeurs semblent unanimes à ce sujet. Depuis quelques années, il existe un engouement autour de la Corée du Sud qui participe à la visibilité du cinéma sud-coréen sur la scène internationale. Cet engouement a un nom : halluy. Traduit par la vague coréenne, la halluy s’illustre par la popularité grandissante pour la culture coréenne dans les sociétés occidentales. Entre K-Food (nourriture coréenne), K-Pop (musique venant de Coréen) et K-Drama (série coréenne), la tendance coréenne est tout autour de nous.
Mikaël MULLER, directeur de la programmation chez THE JOKERS, considère que la culture coréenne supplante la culture américaine : « Quand j’étais petit, je rêvais des États-Unis. Aujourd’hui, les jeunes rêvent de l’Asie, de voyager à Tokyo et à Séoul. » La Corée du Sud est un pays tourné vers la jeunesse. Il n’est pas étonnant que sa culture parle aux jeunes français.
Pour de nombreux jeunes, la K-Pop constitue une porte d’entrée vers la culture coréenne et les films coréens. Ella, en est l’exemple. D’abord attirée par la K-Pop, elle finit par découvrir « le monde qu’il y a derrière » et découvre alors le cinéma coréen qu’elle étudie en licence de cinéma.
Sur le petit écran, les plates-formes de streaming se sont mises à la page et diffusent de plus en plus de contenus coréens. En tête de file, on retrouve le géant américain Netflix. Lucille RIFFLET a étudié ce phénomène. Comme elle nous l’explique, les séries se sont exportées dès le début du siècle. Les fans s’occupaient alors souvent eux-mêmes de la traduction. La barrière de la langue était levée. En 2010, le site de streaming dédié aux dramas coréens, Drama Passion, offrait 200 titres inédits via un abonnement à destination du public francophone. Netflix s’installe quelques années plus tard et investit en 2018 dans la production de 17 contenus originaux issus du Corée du Sud. Sa stratégie se développe autour de deux grands axes : la diffusion des séries coréennes à succès et des films commerciaux, conventionnels, et la production de films de réalisateurs reconnus comme Okja de Bong Joon-Ho sorti en 2017. Pour Romaric BERLAND, Netflix a la possibilité de devenir une alternative aux films de genres qui s’offrent une sortie en salle. Il peut devenir une solution pour les réalisateur coréen indépendant qui peuvent trouver la percée en France difficile, et « combler le vide laissé par les distributeurs. » A condition bien sûr, d’investir dans ce sens.
2021 est une année de succès pour Netflix. Kingdom et Sweet Home sont salués par la critique et Squid Game devient la série restée le plus longtemps n°1 dans le classement avec un total de 1.6 milliards d’heures de vue. Véritable phénomène dont on parle dès le collège, comme l’a constaté Romaric, Squid Game a rabattu les cartes. En avril 2023, dans un communiqué officiel, Netflix annonce investir 2.5 milliards de dollars dans les quatre années à venir pour développer et produire des films et séries coréennes – soit le double de ce qui a été investi deux ans auparavant.
Selon Netflix, parmi ses abonnés dans le monde, 60% d’entre eux ont déjà vu un contenu coréen. Les séries constituent une porte entrée évidente vers le cinéma coréen et amplifient l’intérêt des Français pour la culture coréenne. En septembre 2023, le magazine GQ France publiait une liste des meilleures séries coréennes à visionner sur Netflix.
Le public français s’est donc habitué aux contenus coréens au quotidien. Pour Romaric, désormais, les Français qu’ils soient cinéphiles ou non, ont au moins vu un film coréen au cours de ces dernières années – bien souvent, il s’agit de Parasite. Pourtant, il est rare que ce chiffre augmente
Un genre qui demeure encore dans l’ombre :
L’euphorie est-elle passée ? Si le cinéma sud-coréen est désormais connu et reconnu en France, il reste encore loin des succès hollywoodiens. Le public se rajeunit. Mais il n’en reste pas moins cinéphile. Malgré une présence médiatique plus importante et une évocation dans l’esprit de tous, le cinéma coréen semble se cantonner à un genre niche dont la majorité des spectateurs ignore la partie immergée de l’iceberg.
Pour comprendre ce phénomène, il faut se tourner auprès des distributeurs. Comme nous l’explique Mikaël MULLER, directeur de la programmation chez THE JOKERS, les distributeurs sélectionnent leur film en fonction de leur ligne éditoriale et des raisons artistiques qu’ils défendent et promeuvent. Les exploitants, quant à eux, se basent sur des raisons économiques. Quelques fois, ces deux raisons entrent en conflit. Les distributeurs se heurtent à la réluctance des exploitants de projeter un film qui ne remplira pas les salles. A titre d’exemple, Ça tourne à Séoul ! Cobweb n’est distribué que dans 57 cinémas en France. Difficile alors pour des cinéastes indépendants coréens ne pouvoir se faire place face à des géants comme Bong Joon-Ho qui mettent distributeurs et exploitants d’accord. Le paysage cinématographique coréen tourne autour d’une poignée de réalisateurs tandis que d’autres restent dans l’ombre faute de pouvoir être distribués. Mikaël déclare :
Nous sommes face à un problème de diversité, ce qui est dommage, car l’intérêt pour le cinéma coréen est là.
Lucille RIFFLET, sa collègue, partage cet avis : « on voit que ce sont les mêmes qui sont connus et peu arrivent à ‘prendre la place’ des piliers que sont Bong Joon-Ho, Park Chan-Wook. » De même, difficile de nommer des comédies coréennes, car elles n’apparaissent pas dans le paysage cinématographique en France. La raison ? Les Français s’intéressent davantage aux films de genre. Ce sont donc sur ces derniers que les distributeurs vont miser.
Pour les indépendants, les sorties en DVD et les festivals demeurent les solutions les plus efficaces. Le Festival du Film Coréen à Paris rend compte de la diversité du cinéma sud-coréen pour un public cinéphile et déjà connaisseur.
Une brève histoire du cinéma coréen :
Le cinéma coréen naît sous l’occupation japonaise ( 1910–1945 ). Un premier âge d’or se déroule de 1926 à 1935. Entre les années 50 et 60, le nombre de productions augmentent à grande vitesse. De 15 films en moyenne par an, le pays finit par produire 200 films au cœur des années 60. Tout se fige sous la dictature militaire de Park Chung-Lee ( 1961-1978 ) qui impose une censure sur les œuvres et encourage à la place des films de propagande anticommunistes. Des lois pour encourager la production locale et réguler l’importation de films étrangers sont mises en place. La production de films coréens double, mais leur qualité s’effrite. A la chute de la dictature, la jeune république coréenne s’ouvre à la démocratie et au libéralisme. Hollywood gagne le pays et l’industrie cinématographique prend toute son ampleur durant les années 90. L’Histoire qui suit est celle que l’on connaît.
Les recommandations des experts :
Nous avons demandé aux spectateurs de choisir un film qu’ils conseilleraient à une personne qui souhaiterait découvrir le cinéma coréen. Voici les titres :
- The Host, Bong Joon-Ho, 2006
- Mother, Bong Joon-Ho, 2009
- Parasite, Bong Joon-Ho, 2019
- J’ai rencontré le Diable, Kim Jee-Woon, 2010
- Old Boy, Park Chan-Wook, 2003
- Mademoiselle, Park Chan-Wook, 2016
- The Chaser, Na Hong-Jin, 2008
- The Villainess, Jeong Byeong-Gil, 2017