Samedi 21 octobre, la Beirut Electro Parade faisait sa rentrée à la Bellevilloise. Son créateur, le DJ parisien originaire de Beyrouth Hadi Zeidan, nous reçoit quelques heures avant la soirée. Cet artiste électro explore des sonorités variées aussi bien en tant que musicien qu’organisateur de soirées.
Il commence le piano dès trois ans chez sa grand-mère où il a grandi. À seulement 14 ans, il organise sa première fête en réunissant 300 lycéens de Beyrouth avec la participation d’un DJ. Il quitte son pays à 18 ans pour étudier les lettres à Montpellier, un parcours classique « parce que c’est comme ça ». Il s’installe ensuite à Paris et devient journaliste à France 24. Il profite de ses pauses déjeuner pour composer des musiques et préparer ses premiers évènements. Il quitte le journalisme à 25 ans pour enfin se consacrer pleinement à la musique. Une vocation diront certains, « la providence » explique celui qui se sent utile mais ne glorifie plus son rôle.
Comment es-tu passé de l’apprentissage musical classique à ton intérêt pour la musique électronique ?
C’est des choses que tu ne peux pas choisir. La musique est un élément abstrait. Il faut qu’elle vive quelque part. J’ai trouvé les clubs. C’est peut-être la nuit parisienne qui a voulu ça, peut-être la jeunesse. C’est aussi les standards qu’impose le système son dans un bon club. C’est dans les clubs que la musique vit vraiment son meilleur état. Il y a des subs (caisson de basses), des enceintes en haut, le son est très fort et on est debout. C’est comme une douche, on est envahi. La musique arrive à vivre, pas simplement à exister. Quand il s’agit de communion et de danse c’est là que la musique est dans sa forme la plus sacrée. Ce que l’on appelle musique électronique n’est que de la musique dans sa définition la plus pure.
Dans une interview pour L’Orient le Jour en 2019, tu décrivais ta musique comme « Analogique, électronique, nostalgique ». De quoi était-elle la nostalgie ?
C’était à l’époque. J’étais nostalgique de mon départ. Je suis parti de Beyrouth à 18 ans, je ne savais pas si j’étais encore en lien avec sa scène musicale. Et pourtant, c’est une ville qui m’a bercé et m’a évidemment inspiré, c’est là où j’ai grandi. Et puis Paris c’est dur comme ville, on est tous un peu parisiens et pas vraiment. On vient de partout. Donc je remettais en question mes choix. Pourquoi je suis parti de Beyrouth, qu’est-ce que je fous là ? On vit tous un moment de nostalgie dans notre vie. Mais, à un moment, on arrive à la réconciliation. Et pour moi ça s’est traduit avec la musique. C’était avec mon dernier album, « Meet me in Beirut ». Maintenant on n’en parle plus, c’est la nouvelle vie.
À cette même époque, la liberté de tes soirées a façonné l’image d’un art de résistance. Partages-tu ce point de vue ?
Plus maintenant. En tout cas pas pour moi. Je n’ai plus l’ardeur, l’énergie ou l’arrogance. On peut donner un sens rétrospectivement mais ça vient souvent de notre égo. Je n’ai plus d’égo, je n’arrive même plus à créer des albums, khalas (ça suffit en arabe). Maintenant je fais des soirées. Aujourd’hui je suis content, j’organise mon évènement, je dirige 50 personnes, je crée quelque chose, un lieu de communion. Musicalement je m’amuse à faire deux trois choses à droite à gauche. On a fait un EP (mini album avec quelques morceaux) par exemple avec Bachar Mar-Khalifé qui n’est pas sorti encore. Mais je ne le prends plus au sérieux. Peut-être que c’est une paresse, peut-être que c’est une sagesse. C’était cool d’avoir cet idéalisme jeune. J’avais vraiment l’intention de souligner un genre musical nouveau. Je l’ai peut être créé par inadvertance.
Je ne le prends plus au sérieux. Peut-être que c’est une paresse, peut-être que c’est une sagesse
Ce soir, Jade, une figure emblématique de la scène underground libanaise, joue à la Beirut Electro Parade. C’est symboliquement fort ?
C’est un hommage. Tout le projet de le Beirut Electro Parade c’est une tentative de réconciliation avec un Beyrouth que j’ai laissé. Je voulais absolument être réuni avec cette scène alternative que Jade avait initiée. Il a ouvert le premier club alternatif électronique à Beyrouth qui s’appelle « The Basement ». Il a réussi à placer Beyrouth sur la carte géo-musicale. Aujourd’hui il est à la tête des meilleurs clubs du Moyen-Orient. Ce n’est pas n’importe qui.
La Beirut Electro Parade connaît un vrai succès depuis 2016. Comme expliques-tu un tel engouement ?
Le nom « Beirut Electro Parade », il y a un truc béni dedans, c’est iconique. Il y a un imaginaire lié à Beyrouth. En 2016, c’était la première soirée qui rassemblait les libanais de seconde génération mais ça rassemblait aussi beaucoup de beyroutophiles. Il y en avait beaucoup qui avaient fait un master à Beyrouth. C’était une époque où le Liban allait encore bien. Il y avait aussi l’effervescence de la scène alternative du monde arabe cinq ans après les printemps arabes. C’était le moment propice pour que ça existe. Ensuite, on est devenu un rendez-vous un peu institutionnel à Paris. Ce n’est pas un coup de chance non plus, il y a beaucoup de travail derrière. Je fais très attention aux affiches, la cohérence des artistes, la lumière. Et puis je travaille avec les meilleurs.
En sept ans l’événement a accueilli non seulement des artistes beyrouthins, mais aussi des artistes de tout le monde arabe. Est-ce devenu un événement majeur pour la diaspora arabe à Paris ?
Oui, par contre [les artistes] sont tous biens. Le dénominateur commun c’est l’amour. On accueille tout le monde. Il y a un besoin de se réunir. Beyrouth est une ville cosmopolite, comme la plupart des gens aujourd’hui. Évidemment il y a toujours une grande communauté libanaise qui vient, c’est notre lieu de rassemblement, mais ce n’est pas le but. Il se trouve que moi je viens de Beyrouth mais après tout c’est une soirée, c’est une fête quoi. Il ne faut pas trop théoriser. Pour tout te dire j’ai créé cet évènement car il n’y avait aucune soirée à Paris où j’arrivais à danser. Moi qui suis musicophile je me suis dit, vous savez quoi, je vais faire la mienne.
Dans l’exposition « Habibi » à l’Institut du Monde Arabe on pouvait lire qu’une personne queer et arabe devait faire un choix entre son orientation sexuelle et/ou son identité de genre et son identité arabe « Il peut être soit l’un, soit l’autre. Parfois l’un, parfois l’autre. Jamais les deux en même temps ». Représenter les cultures alternatives arabes, c’est prouver que ces identités peuvent coexister ?
Pourquoi [cette phrase] ? On ne s’identifie pas comme une soirée queer mais on est la soirée la plus queer-friendly de Paris. Depuis la première édition en 2016, j’ai toujours eu une line-up avec une équité femme-homme mais on l’annonce pas c’est normal. Lorsque l’on a une prise de conscience d’une valeur – qui peut nous transcender nous et notre société – nous devons absolument la suggérer dans ce que l’on fait tous les jours. La suggérer ça ne veut pas dire l’apprendre et l’enseigner, c’est la suggérer en tant qu’artiste. C’est notre soft power. Il y a beaucoup d’artistes qui sont avant-gardistes, ils ont vu quelque chose qui peut-être arrivera dans 5 000 ans. Mais ils l’ont vu alors ils peuvent le suggérer dans leur art et espérer que le gens vont comprendre. A mon sens, c’est la meilleure approche.
On ne s’identifie pas comme une soirée queer mais on est la soirée la plus queer-friendly de Paris
Cette édition de la Beirut Electro Parade se déroule dans un contexte régional très particulier et tendu. Tu as déclaré sur Instagram « Les manifestations sont interdites dehors, mais notre espace n’est pas censuré et est prêt à connecter notre communauté ». Dans ce contexte, était-il important de maintenir l’esprit festif de l’événement ?
Ce n‘est pas le monde dans lequel nous aimerions vivre. Je ne vais pas baptiser ça une fête par respect mais ça reste évidemment une fête. On se retrouve pour écouter de la musique et danser parce qu’on a la bénédiction de faire ça et j’en suis reconnaissant. J’ai mis longtemps à publier quelque chose. Dans la vie – la providence me l’a dit – on a chacun une utilité. Quand on la trouve, il ne faut pas faire autre chose. Mon utilité c’est de faire que cet espace existe. Ce n’est pas mon utilité de prendre les armes. En revanche, mon devoir est d’accueillir, d’ouvrir des espaces, de rassembler.
Comment te vois-tu dans les années à venir ? Envisages-tu de rester à Paris ?
Paris c’est mon chez moi. Depuis que Paris m’a adopté. C’est une ville que l’on déteste tous, mais je l’aime bien. C’est la ville où j’ai fleuri, c’est la ville où la providence m’apparaît le plus. Si l’univers te parles, tu as de la chance. Je pense que tout le monde a cette opportunité, il faut savoir écouter. L’artiste, ce qui le différencie, c’est qu’il a cette capacité d’écoute. Cela dit, j’ai envie de propager les idées que j’ai pu faire mûrir ici là où il y en a besoin. Par exemple, je vais bientôt à Dubaï faire une Beirut Electro Parade. Je n’ai pas l’impression que mon oeuvre globale soit finie. Mon utilité est de faire des évènements où l’on se sent libre. J’arrive à mettre les gens à l’aise avec la bonne musique et les bonnes lumières dans un espace où ils peuvent être qui ils sont. Qu’ils soient d’origine arabe, gays, pas gays, qu’ils soient papas, qu’ils soient énervés. C’est ça mon utilité en ce moment.