Une start-up française propose à ses clients de donner une seconde vie aux vêtements qu’ils ne portent plus en les confiant à des vendeuses qui se chargent de les revendre en ligne à leur place.
Les adeptes de Vinted le savent bien: vendre ses vêtements d’occasion en ligne peut s’avérer être chronophage. Pour y remédier, la start-up parisienne Reusses ( « sœurs » en verlan ), pense avoir trouvé la solution : confier ce travail à une personne qui le maîtrise – une « Reusse » – qui empochera au passage un pourcentage. La vendeuse touche 40% des bénéfices, tout comme le client qui veut céder une partie de son vestiaire . La start-up, elle, prélève 20%.
Ce système de « dépôt vente démultiplié », comme le qualifie Céleste Coez Blanchard, co-fondatrice de Reusses, a pour objectif de « réduire le gaspillage vestimentaire ».
La seconde-main, un marché en expansion
Face aux violations des droits humains et aux quatre milliards de tonnes de CO2 émis annuellement par l’industrie textile de la mode rapide à bas prix – aussi appelé fast-fashion – une tendance vers des alternatives de consommation émerge. En 2022, 31% des personnes interrogées en France par la base de données de marché Satista répondent avoir acheté des vêtements d’occasion au cours des douze derniers mois, propulsant le marché de la seconde main à six milliards d’euros, soit 10% du marché de l’habillement dans l’Hexagone. Leader dans ce secteur, Vinted démocratise la seconde main avec des articles vendus à partir d’un euro pièce. Un geste pour la planète et son portefeuille.
Reusses se distingue en se positionnant sur la niche « premium » et luxe. Des pièces comme un jean H&M ou un t-shirt Bershka ne sont pas acceptés. A la place, sont mis en vente des textiles qualitatifs provenant de marques comme Levi’s, Cartier, Kenzo ou encore Burberry, Valentino ou Celine. Le prix plancher démarre à 20 euros et peut monter jusqu’à 500 euros pour des vêtements de grandes marques de luxe. Ce marché représente 16.6 milliards de dollars en 2022 et devrait croître de plus de 8% en Europe d’ici 2028, selon une étude de Research and Market.
La communauté Reusses
Mathilde Mortelecque, 29 ans, et Clara Decouais, 26 ans, sont adeptes de la seconde main et Reusses depuis un an. Toutes deux ont découvert le concept via les réseaux sociaux et se sont lancées dans l’aventure. Si Clara est experte dans la revente de vêtements et connaît bien les marques premium, Mathilde a dû apprendre en s’exerçant. Pour Mathilde qui travaille dans l’immobilier, Reusses est un passe-temps qui lui prend en moyenne trente minutes par jour. Avec six commandes simultanément, le secret pour être efficace selon ces deux Reusses est d’être minutieuse et organisée.
Alors quel est le processus ? Lorsqu’une cliente fait appel à leur service, Mathilde et Clara se rendent respectivement chez leur cliente et réceptionne les vêtements destinés à la vente. Elles prennent connaissance des articles et des marques en échangeant avec leur cliente. De retour chez elles, les deux jeunes femmes référencent les articles et les prennent en photo pour poster les annonces sur les différents sites de revente en ligne. Cette étape peut prendre toute une après-midi voire une journée en fonction du nombre de pièces. A la fin de la transaction, les Reusses gagnent entre 200 et 300 euros par commande. Pour Mathilde, ce complément de revenus lui permet de financer son projet de voyage. Elle déclare :
Nous donnons un coup de pouce à toutes celles qui sans ce service n’auraient jamais franchi le cap de vendre elles-mêmes les vêtements qu’elles ne portent plus. Aujourd’hui, certaines de mes clientes font appel à moi à plusieurs reprises. La confiance s’est créée.
Le lien humain est essentiel pour la Céleste Coez-Blanchard, la co-fondatrice de Reusses. Visant à créer une communauté basée sur l’entraide et la bienveillance, Reusses et fondatrices échangent régulièrement et se conseillent mutuellement.
Aujourd’hui, l’entreprise dénombre 500 vendeuses. Néanmoins, face à l’augmentation de la demande, les effectifs devraient augmenter prochainement. Le mois dernier, sur 226 candidatures, seules 35 ont été retenues. « Les Reusses sont soigneusement choisies », révèle Céleste Coez-Blanchard. Après avoir rempli un questionnaire et présenté leur dressing Vinted, les candidates doivent exposer leur motivation. A la fin de ce processus, celles qui maîtrisent le mieux le fonctionnement des plateformes de revente en ligne et sont motivées à rejoindre l’aventure, deviennent Reusses. Désormais, l’un des objectifs de la start-up est de s’implanter en région.
Une histoire de soeurs
« J’ai eu 1000 idées avant Reusses » reconnaît Céleste Coez Blanchard, co-fondatrice de Reusses. L’une d’entre elles était un site de revente de maillots de bain pour femme adaptés au kitesurf, l’une de ses passions. Qu’a donc amené Céleste a changé d’avis ?
Aux origines du projet, on retrouve Céleste, sa sœur Tara Dabinovic, et leur amie Victoire Zviak-Jacquet. Deux sœurs de sang et une sœur de cœur. Après dix ans comme chef de projet digital et international, et responsable e-commerce chez l’Oréal, Céleste, grande consommatrice de mode, conçoit l’idée de l’entreprise lorsqu’une amie propose de vendre à sa place ses vêtements. Les gains sont divisés en deux. Lorsqu’elle en parle à son entourage, nombreuses sont celles qui souhaiteraient avoir cette amie. En 2021, leur vœu est exaucé avec la naissance de Reusses. Tara délaisse son auto-entreprise de broderie et Victoire « start-upeuse dans l’âme » rejoint l’aventure.
Une timide ascension
Reusses, toujours en évolution selon sa co-fondatrice, a débuté en redonnant une seconde vie à tous les vêtements. Mais avec des articles vendus à un euro pièce, pour la start-up tout comme les Reusses et les clientes, les bénéfices n’étaient pas assez intéressants. Ce modèle a donc cédé sa place à celui mis en place aujourd’hui – plus économiquement attrayant pour les participants.
Se créant une communauté sur les réseaux sociaux, Reusses gagne désormais en visibilité dans les médias. Avec un premier article sur le site My Little Paris et une apparition dans un reportage Envoyé Spécial en novembre, sa côte de popularité augmente. Suite à la diffusion de l’émission, 239 personnes se sont inscrites sur le site et 163 candidatures ont été reçues. Les demandes en Île-de-France ne cessent de grimper.
Désormais membre du Réseau Entreprendre Paris, la start-up vise à lever des fonds pour la création d’une application et la mise en place d’une formation destinée aux vendeuses. Avec un chiffre d’affaires de 200 000 euros en deux ans, la start-up n’en est qu’à ses débuts, contrairement à son principal concurrent OMAJ, le site de dépôt-vente français fondé en 2021 qui prend en charge à 100% la revente des vêtements en seconde-main. Récemment, l’entreprise a levé deux millions d’euros et comptabilise déjà 50 000 utilisateurs. Mais Céleste est déterminée :
Contrairement à eux, à Reusses, ce sont des personnes qui vendent des vêtements, pas une boîte. C’est Cassandre, c’est Mathilde… Nous prenons notre temps, et nous ne devons rien à personne.